LA LEÇON DE PIANO

Lorsque Clélya Abraham et Xavier Belin parlent musique, le bonheur se lit sur leur visage. Respectivement originaires de la Guadeloupe et de la Martinique les deux artistes nous proposent deux albums de haute voltige. Atacama pur Clélya et Digression pour Xavier (et Baptiste Poulin), ils écrivent de nouvelles notes sur leur partition. Rencontre croisée.

Couleur Café : Vous jouez du même instrument, le piano. Qu’est-ce qui vous a poussé vers cet instrument ?

Clélya Abraham : C’est parce qu’il y avait un piano à la maison. C’était celui de ma mère. Elle est violoniste, donc du coup, elle n’en jouait quasiment pas. Elle l’avait eu pour ses études à l’époque et l’avait gardé. J’étais fascinée parce qu’il est est hyper facile d’accès. Lorsqu’on y joue, il y a tout de suite des sons justes qui sortent, c’est un peu spécial pour celui qui l’entend pour la première fois. Et donc, j’ai commencé à m’amuser, à créer, mon frère m’a appris des morceaux de Bach. Ça m’a passionnée et j’ai continué à prendre des cours. 

Xavier Belin : De mon côté, j’ai commencé un peu de la même façon, il y avait un piano à la maison. C’était celui de mon père, qui est batteur et pianiste amateur. Au départ, Je pense qu’il avait envie de faire de la musique son métier, mais finalement, il n’a pas pu. Il souhaitait que ses enfants, puissent apprendre un instrument, dès leur jeune âge, du coup, il m’a mis au piano. J’ai commencé par l’éveil musical puis j’ai pris les cours de classique dès l’âge de 7 ans. Au début, je n’aimais pas ça, je ne faisais pas mes exercices. Et en plus, à côté, je faisais du foot. Des fois, il y avait des conflits d’horaire. Je voulais surtout jouer au foot, pas du piano. Puis, il y a eu un déclic vers 12-13 ans et j’ai vraiment commencé à aimer cet instrument, à mieux travailler, parce que j’en avais envie. Par la suite, je me suis intéressé à d’autres musiques. 

Couleur Café : Quelles sont vos origines ?

Xavier Belin : De la Martinique. 

Clélya Abraham : Par mon père de la Guadeloupe et ma mère de la France hexagonale.

Couleur Café : En faisant un retour vers le passé, je me rends compte que le piano a toujours été au centre des musiques, notamment du jazz, dans les Caraïbes. Comment l’expliquez-vous ? Il y a toujours eu des grands pianistes.

Xavier Belin : C’est vrai qu’il y’en a énormément qui viennent de la Martinique, je pense à Mario Canonge, Grégory Privat, Maher Beauroy, Gilles Rosine, Ronald Tulle. Je sais qu’il y avait beaucoup de trios, de quartets, d’accords, de classiques, des duos piano-violon, des groupes comme ça qui venaient et faisaient un peu le tour de la Caraïbe. Il y a peut-être une culture qui s’est formée avec ces groupes. Ça serait mon explication

Clélya Abraham : On pourrait demander à un historien.

Couleur Café : Peut-être que ça s’explique aussi du fait que les maîtres d’esclaves avaient souvent un piano chez eux et qu’ils demandaient à un esclave à talent d’en jouer.

Xavier Belin : Oui, c’est ça. Il y a un livre qui raconte l’histoire de la Biguine à Saint-Pierre. Et il paraît qu’il y avait vraiment une grosse culture de la musique, du bal, des salons. Plusieurs maîtres d’esclaves avaient effectivement des pianos, c’est plausible.

Couleur Café : On parle de la sortie de vos albums Digression pour Xavier Belin

Xavier Belin : Ça part du nom du duo, Crossing, que je forme avec le saxophoniste Baptiste Poulin. Digression évoque le croisement de nos idées. 

Couleur Café : Et Atacama ?

Clélya Abraham : Ça fait référence au désert d’Atacama, au Chili, qui est l’endroit d’où on peut le mieux observer les étoiles depuis la Terre. Il y a énormément de spécialistes du cosmos qui vont là-bas pour les observer. C’est une invitation à se projeter dans ce désert et à regarder au-dessus de soi.

C.C : Xavier, tu as travaillé en duo, c’est un album très épuré par rapport au premier.

X.B : En fait, le procédé était un peu différent. C’est un projet vraiment commun qu’on a réalisé ensemble. Nous avons co-composé les morceaux, travaillé en équipe. Nous avons commencé par composer les morceaux, ensuite, on a voulu faire passer des émotions. Nous avons peaufiné les morceaux, dans ce sens.

C.C : Pour Atacama, il y a du chant, plus de rythme. 

C. A : Je chantais déjà dans le premier album, mais là, j’ai fait un petit peu plus de place à la voix. En fait, Je chante depuis toujours. Je pars très souvent du rythme pour composer mes morceaux. Je me mets un rythme que je kiffe et je danse. Je commence à jouer du piano et à m’éclater dessus, ensuite je me laisse énormément porter par la voix afin de trouver mes mélodies, qui ont un sens. D’où l’importance de la voix.

C.C : Parfois, tu joues et tu doubles les mélodies avec ta voix aussi. 

C.A : Oui, j’aime bien les mettre en valeur avec la voix. 

CC : Qu’est-ce qui a changé depuis le Covid Dans votre manière de travailler ou d’aborder la musique ?

C.A : J’ai eu de la chance, parce que ça ne s’est pas passé comme pour tout le monde, évidemment. Pour moi, ça a été une parenthèse, une respiration incroyable. Et ça m’a fait énormément de bien. Je me suis posée, ce qui a contribué aussi à changer un peu mon rapport à la musique, à jouer plus pour le plaisir, plutôt que la performance.

X.B : Ça m’a fait vraiment respirer, parce que juste avant, je crois que je faisais trop de choses. Et quand c’est arrivé, j’étais très occupé et certaines choses ont été a annulées, j’ai pu vraiment respirer, travailler un peu le piano, faire ce que je n’avais plus l’habitude de faire. Depuis mon premier album, j’ai changé. Mais aussi dans le rapport à la musique, de comprendre qui je suis en tant que musicien, me focaliser sur le plaisir de faire la musique, aussi d’être moins dans la performance. 

C.C : Clélya, comment as-tu rencontré le guitariste béninois Lionel Louéké ? Et qu’est-ce qui t’a poussée à faire cette chanson « Pays » avec lui ? 

C.A : Je l’ai rencontré au Festival Jazz en Tête, on ne jouait pas le même jour, il était là et par chance nous avons discuté. J’ai adoré sa vibration. Je l’ai trouvé d’une douceur incroyable, ensuite, nous avons gardé le lien parce qu’on voulait, à la base, faire une collaboration entre lui et Abraham Réunion, le projet que j’ai avec mes frères et sœurs. Ça n’avait pas pu se faire mais ça a permis de garder quand même un contact. Je l’ai souvent écouté, il m’a énormément inspirée, je trouve qu’il va à l’essentiel dans son jeu. Il n’y en a jamais trop. Il y a vraiment ce qu’il faut, il se met au service de la musique. Lorsque je me suis mise à penser à un musicien à inviter sur cet album, j’ai tout de suite pensé à lui. C’était une évidence et j’ai adoré ce qu’il a fait.

CC : Et toi Xavier, racontes-nous ta rencontre avec Baptiste ?

X.B : Je l’ai rencontré au Pôle supérieur d’enseignement artistique Paris – Boulogne-Billancourt (PSPBB) pendant nos études. Nous avons commencé à jouer, à faire des duos en cours, après les cours. Nous avons organisé des petits concerts, puis vers 2021, on s’est dit que ce serait bien d’écrire des compositions. Et nous sommes entrés dans ce processus de création de l’album. On se voyait, on avait la volonté de créer des morceaux. Il y’en avait beaucoup où Baptiste avait le début des idées. Des fois, les mélodies qu’il me demandait d’harmoniser. Il y a des morceaux où vraiment, on a collé une idée à lui et une autre à moi. Et après, on bricole, on les lie. Tous les morceaux ont été écrits à deux, mais pour chacun, il y a une ambiance particulière.

C.C : Je vous laisse le choix de vous poser une question l’un(e) à l’autre

C.A : Qu’est-ce que t’aimes particulièrement dans le piano ? 

X.B : Le fait que ce soit un instrument mélodique, harmonique et rythmique. Qu’on puisse jouer tout seul, avec tout le monde dans plusieurs formations différentes. On peut faire plein de trucs, plein de styles différents. On peut être autonome, jouer avec beaucoup de personnes. 

C.A : Ça me parle. Je crois que c’est un peu pareil pour moi. 

X.B : Alors moi, ma question serait qu’est-ce qui fait la force de Clélya Abraham ? Quelles sont tes caractéristiques pianistiques ? Les choses que tu as envie de développer qui font ta patte ?

C.A : Je ne réfléchis pas beaucoup en termes de musique, mais plus en termes de ressenti. Comment j’ai envie de me sentir quand je joue ?  Évidemment détendue, en harmonie avec ce que je ressens au plus profond de moi, en cohérence, en authenticité. J’ai besoin que ce qui sort, résonne vraiment avec qui je suis. C’est mon moteur. 

CONCERTS CLÉLYA ABRAHAM
17 mai – Festival Kadans Caraïbes, Marseille
30 mai – La Casa Jazz, Saint-Raphaël

31 mai – Salon IMFP de Provence

1er juin – festival les femmes pas oubliées

20 juin : le TRITON – Les Lilas.

15 juillet – Millau Jazz

25 juillet – la salle Ladbroke – Londres .

31 juillet – festival la Roque d’Anthéron

23 août – Festival Deva Jazz – Roumanie

28 septembre – Aprem’jazz – Quimper

12 octobre – jazz à Noyons

15 novembre – Saint-Martin (Antilles)

23 novembre – auditorium du conservatoire de Colombes

CONCERT XAVIER BELIN

Ven 30 et Sam 31 mai : Concert à Lisbonne au Nisa’s Lounge

Samedi 28 janvier 26 : Concert au baiser salé (19h45 et 22h)

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