L’INTROSPECTION DE SECKOU KEITA
Seckou Keita est un homme joyeux. Il vibre pour la musique, il aime la vie. Originaire de la Casamance au Sénégal, le jeune musicien est né à Lindiane au sud de la ville de Ziguinchor. Il propose Homeland, un opus à travers lequel il mène une quête introspective. Voyage.
Comment expliques-tu qu’on parle très peu des musiciens issus de la Casamance ?
C’est une région assez loin de Dakar, la capitale. Il y a aussi des musiciens venant d’autres régions dont on parle peu. Je pense que c’est parce que la plupart des musiciens est concentrée dans la région de Dakar. Pour se faire un nom, les musiciens sont obligés de rejoindre la capitale.
Est-ce qu’il y a des concerts d’artistes comme Youssou Ndour dans cette région du Sénégal ?
C’est rare mais il y en a. Youssou venait souvent, mais ça fait un moment qu’il n’est pas revenu.
Et toi ?
L’année dernière j’ai fait des concerts là-bas, cette année je compte faire 2 ou 3 dates. De plus en plus, je ressens cette envie de retour au pays.
Il y a aussi Saint-Louis Jazz.
Je n’ai pas encore joué là-bas. C’est surtout une question de calendrier, mais ça va se faire. L’idée serait d’y participer en 2026-2027 et d’organiser une tournée dans toutes les régions du Sénégal.
Tu as sorti l’album Homeland Chapter 1 en 2024. Qu’est-ce que ça raconte ?
Homeland est mon 15e album. Chacun parle d’une histoire différente. Celui-ci parle d’un retour au pays, musicalement parlant. C’est aussi un questionnement, à savoir où est la terre-mère ? C’est où chez moi ? Mon pays adoptif est l’Angleterre, mon pays natal est le Sénégal, et puis il y a d’autres pays que j’ai traversé dans le monde. Lorsque je vais chez moi au Sénégal mes amis me demandent souvent pour combien de temps suis-je là ? ou alors quand vais-je repartir ? Je vis en Angleterre depuis 20 ans, chaque fois, mon voisin me demande si j’ai fait un tour dans mon pays d’origine. C’est une question qu’on me pose souvent. Je suis Sénégalais, j’ai des habitudes en Angleterre, j’y ai construit une famille ; alors où est-ce chez moi ? Lorsque je demande à mes enfants d’où ils viennent, ils ont aussi du mal à me répondre. Ils se considèrent aussi bien comme Anglais, Sénégalais et Français. Cette question concerne beaucoup de personnes. Ma musique répond à cette question, je travaille avec des musiciens venant de différents horizons, la question se pose pour eux aussi. Est-ce là où tu travailles ? Là où tu es né ? Là où tu te sens le mieux qui est ton « homeland ? Chaque personne a sa propre réponse.
C’est donc un album qui résume aussi ton parcours musical.
C’est un clin d’œil aux différents styles de musiques que j’ai côtoyé, du jazz à la musique classique. Mon album précédant, African Rhapsodies, est entièrement classique, je l’ai enregistré avec BBC Orchestra, il y a mes propres compositions avec des arrangements classiques. Homeland est un album qui reflète véritablement mes origines.
Y a-t-il des rythmes particuliers dans Homeland ?
Oui, il y a plusieurs rythmes. Par exemple, le buguereubu, qui est une percussion Diola, qu’une personne peut jouer sur quatre tambours ; il y a aussi le Seouruba, fait de trois petits tam-tams, qui ressemble un peu au sabar. On y trouve une influence de la Gambie qui n’est pas loin. Et bien évidement il y a le Djembé qui est devenu un instrument international.
Comment as-tu adopté la kora ?
C’est un instrument que de plus en plus de personnes veulent apprendre à jouer, il offre plus de créativité sonore. Tout le monde s’en empare, pas simplement les griots, ni uniquement les Africains, mais aussi les Européens, les Asiatiques, les Américains.
Je suis né dans une famille de griots, du côté de ma mère. Je viens de la famille Cissokho. À l’âge de 7 ans, j’étais à côté de mon grand-père maternel, c’était mon mentor, il m’a appris comment fabriquer ma propre kora. Chaque griot se distingue par sa manière de travailler. Mon grand-père disait toujours qu’il vaut mieux fabriquer son propre instrument que d’en acheter. Il y a une connexion qui se fait avec son propre instrument. À l’âge de 14 ans, j’ai commencé à apprendre le répertoire traditionnel. Je devais apprendre et comprendre l’histoire des morceaux que je jouais, les différentes techniques avant d’être libéré. C’est une initiation, c’est une passage. C’est ma base. Lorsque j’ai quitté mon grand-père, j’avais un peu moins de 18 ans. Je suis allé en Scandinavie avec mon oncle qui faisait des tournées. J’ai tout de suite collaboré avec des musiciens Cubain, c’était en Norvège. Il y avait aussi des musiciens indiens.
Tu as collaboré dans ton album avec plusieurs artistes.
Oui il y a les Daraa-J, je les adore. Je les connais depuis leurs débuts, ce sont des amis, ils sont d’une grande humanité, j’aime leur travail. Notre collaboration a été longue à mettre en place car Faada Fredy avait une grosse tournée, Ndongo D. était très occupé lui aussi. Nous avons trouvé un terrain d’entente pour travailler sur le titre Home Sweet Home à 3 heures du matin à Dakar. C’était important pour moi de travailler avec eux, j’aime leur approche de la musique, la voix de Faada, le rap très technique de Ndongo D. Dans la chanson, nous parlons de notre terre natale.
J’ai aussi travaillé avec Hannah Lowe, sur le titre Deportation Blues. Elle est Anglaise métissée Chine et Jamaïque. Elle est née en Angleterre, elle a aussi une histoire assez particulière, c’est une poétesse très connue. Il y a aussi Zena Edwards, qui est originaire du Zimbabwe. Elle a une voix très soft, nous avons enregistré le morceau Reflections. Il y a aussi le vieux père Abdoulaye Sidibé, qui est Sénégalais. Il a fait l’ouverture de l’album. Il connait très bien non seulement l’histoire de la kora, mais aussi la culture en général, au Sénégal.
Propos recueillis par Samuel Nja Kwa
Album Homeland, 2024
Concerts :
12 mai au New Morning, Paris
14 mai Corn Exchange Brighton and Hove, Royaume-Uni
16 mai Octagon Centre, Sheffield, Royaume-Uni
17 mai The Glasshouse International Centre for music, Gateshaead, Royaume-Uni