Dee, itinéraire d’une danseuse afro-descendante
Dee est une passionnée de la danse. Son nom est un diminutif de son nom d’artiste Deewin, lui-même dérivé de son vrai prénom. A Kigali, où nous l’avons vu danser, elle avait la charge d’un atelier de danse. Elle transmet, parle assez volontiers de son métier, raconte son itinéraire.
Couleur Café : D’où te vient ton nom, Dee ?
Dee : Au départ j’utilisais le nom Deewin comme alias sur les réseaux sociaux pour ne pas que les recruteurs me pistent. Ensuite tout le monde a commencé à m’appeler Deewin, puis Dee pour les intimes. Ça me permet aujourd’hui de distinguer mes différentes activités et d’avoir comme un alter ego que tout le monde ne connaît pas.
Couleur Café : Depuis combien de temps fais-tu de la danse ?
Dee : Je danse depuis 5 ans. Je la pratique et l’enseigne de manière plus intensive et professionnelle depuis 3 ans.
C. C : Qu’est ce qui t’a poussée à danser ? Et comment est née cette passion ?
D. : Plusieurs réponses s’imposent. J’ai toujours été une mordue de danse sans vraiment m’en rendre compte, et ce, depuis mon jeune âge. Ma réelle et profonde passion fut la danse sur glace. Je rêvais de devenir la prochaine Surya Bonaly (Ndlr : patineuse artistique française d’origine africaine). Je ne ratais aucune de ses compétitions à la télévision, à tel point que mes parents n’ont pas eu d’autres choix que de m’inscrire au patinage artistique à l’âge de 8 ans. Cette passion s’est peu à peu estompée pour laisser place à la danse. J’ai vibré pour cette autre discipline à l’âge de 9 ans. C’était l’année où ma mère et moi sommes parties en vacances à Abidjan, rendre visite à ma tante. Toutes les deux m’avaient organisée un anniversaire surprise pour mes 9 ans. C’est un moment inoubliable. C’était la première fois que je voyais ma mère danser, surtout en compagnie de sa grande sœur. Elles étaient magnifiques, on aurait dit des déesses. Mon cœur battait très fort, mes yeux étaient écarquillés et j’ai eu des larmes de joie pour la première.
À notre retour de voyage que j’ai appris que ma mère, avant de venir vivre à Paris, dansait dès son plus jeune âge dans la compagnie de danse de ma tante qui, à l’époque, était la plus grande chorégraphe de danse traditionnelle ivoirienne. Elle a créé le premier ballet national de Côte d’Ivoire ainsi que son école de danse : l’EDEC.
Après ce voyage, mon rapport à la danse est devenu plus prononcé. Bien que je sois timide et réservée, je dansais souvent dans les spectacles de fin d’année, de la primaire au lycée. A la maison, c’était tout le temps le même rituel : Les samedis au retour de l’école, on glissait une cassette VHS dans le magnétoscope et on s’amusait à reproduire, mes deux frères et moi, toutes les chorégraphies de Koffi Olomidé, Pépé Kalé, Werrason et de bien d’autres artistes. Les après-midis, entre copines, nous reproduisions les chorégraphies de Sisqo, Usher, Aaliyah, Justin Timberlake. Pendant les vacances à New-York chez ma tante, je l’accompagnais à ses cours de danse et spectacles.
Plus tard, je me suis inscrite au Studio MRG pour y prendre des cours. La danse, m’a permis de me reconnecter spirituellement, de prendre confiance et de m’entourer d’énergie positive. Au-delà d’une passion, la danse était une thérapie qui m’a permis de guérir de certaines blessures, de me retrouver, de renouer avec ma famille, de réaliser mes rêves d’enfant, d’apporter du bonheur aux gens et de m’épanouir.
C. C : Quel est ton parcours ?
D. : Comme je l’ai soulignée, je me suis inscrite au Studio MRG, un studio de danse pas comme les autres à Paris. Les deux premières années, je prenais des cours en tant que simple élève. Par la suite, j’ai été repérée par un de mes professeurs que j’ai commencé à accompagner sur de nombreuses scènes. C’est ainsi que j’ai commencé à être de plus en plus contactée par des écoles et agences à l’étranger. J’ai eu la chance d’avoir été invitée à Brasov en Roumanie en 2017 pour donner deux stages de danse ; en 2018, à Jodhpur en Inde dans le cadre d’un mariage royal dont l’artiste « guest » était Wizkid, et en juillet dernier à Kigali, au Rwanda, pour créer un spectacle de danse dans le cadre du festival Creative Africas.
C. C : As-tu rencontré des difficultés durant ta formation et comment les as-tu surmontées ?
D : J’en ai rencontré pas mal oui ! L’un de mes plus grands regrets est de n’avoir pu suivre une formation artistique. Ma première difficulté en tant que professeure de danse, fut celle de surmonter le syndrome de « l’imposteur ». Ma rencontre avec un autre danseur d’exception, Popaul Amisi, m’a aidée à effacer ce sentiment d’illégitimité, qui m’empêchait d’oser et d’aller encore plus loin. Il a fait partie de ces personnes qui m’ont poussée à sortir de ma zone de confort et à valoriser mon potentiel dans la pratique et pédagogie.
Une autre de mes difficultés, en tant qu’élève, était d’arriver à accepter mon image et mon corps. En cours, j’avais toujours eu du mal à me regarder dans le miroir par exemple. Grâce aux regards et remarques positives des élèves ou de mes professeurs, j’ai petit à petit appris à aimer mon corps, mon expression corporelle, à m’aimer tout simplement.
C.C : Te souviens-tu de ton premier spectacle ? Peux-tu nous le raconter ?
D : Je me souviens de mon premier spectacle en tant que danseuse. C’était un spectacle de fin d’année dédié à une association. C’était un moment de plaisir. A la fin du spectacle, avec les autres danseurs, nous nous sommes écroulés de fatigue.
C. C : Fais-tu partie d’une troupe ?
D : En 2016, j’ai créé une troupe de danse nommée La Riposte. Nous avons connu des moments magiques notamment lors de concours chorégraphiques. On avait une certaine fraîcheur et bonne humeur qui nous caractérisaient et différenciaient des autres groupes. On aimait particulièrement le Ndombolo.
C. C : Comment créés-tu tes chorégraphies ?
D : Je créé mes chorégraphies principalement à partir d’une chanson ou mélodie qui m’inspire. Tout se met en place dans ma tête : Les mouvements, l’émotion que je veux transmettre, l’histoire que je veux raconter. Le fil conducteur de mes chorégraphies est l’émotion que le son va me procurer. Selon la partie du son qui me parle, je peux commencer par créer d’abord un refrain et ensuite un premier ou deuxième couplet. Une fois la chorégraphie construite, j’y ajoute mon feeling et mon flow. Je réajuste la chorégraphie une fois satisfaite de la fluidité. Une chorégraphie réussie est une chorégraphie que j’ai plaisir à danser, quand tout s’imbrique le plus naturellement possible et qu’on identifie facilement mon style.
C. C : Quelles sont tes ambitions ?
D : Je souhaite créer autour de la danse un événement transgénérationnel, avant-gardiste et tourné vers la prise de conscience de toutes les richesses spirituelles et intellectuelles de notre diaspora.