HERVÉ SAMB, une identité Blues, Jazz et Sabar
Le guitariste et chanteur sénégalais Hervé Samb présente son nouveau projet intitulé Jolof. Une fusion de sonorités Jazz, sénégalaises et européennes. Sa musique illustre son parcours, ses expériences et son aboutissement. Une façon d’affirmer son identité. Rencontre.
Comment s’est passé l’enregistrement de l’album Jolof ?
C’est une sacrée aventure. L’album a été enregistré en plein Covid, avec fermeture des frontières, il a fallu remonter jusqu’au Ministère de l’intérieur en France, car tout le monde ne pouvait pas entrer en France, être en rapport avec l’Institut Français au Sénégal, et l’industrie de la musique. Tous les musiciens ont pu quitter le Sénégal et entrer en France, c’était incroyable. Nous avons fait une résidence en France ensuite l’album a été enregistré. Autant dans mon album précédent, Teranga, j’avais une équipe, il y avait un son que je voulais, autant avec Jolof il y a un son de groupe.
En termes de son, Jolof est-il la suite de Teranga ?
De l’album Teranga a découlé le groupe Teranga Band. Avec l’album Teranga, on était encore dans l’expérimentation : L’idée était de voir si ça fonctionne ? Est-ce que ça plait ? Est-ce que ce style de musique peut rester et exister ? On ne savait pas trop où on allait, on expérimentait des sons, on avait une vision assez large du concept. Nous avons fait des concerts et c’est par rapport aux réponses du public que nous avons réagi.
Ce style de musique est une réponses aux questions que je me pose depuis quelques années à savoir qui suis-je ? Qu’est-ce que je fais ? Et qu’est-ce que je peux apporter dans la musique ? Je suis Sénégalais, je vis en France depuis plus de la moitié de ma vie, je voyage dans le monde entier, je suis de culture mixte. Au-delà de ça, je suis musicien de jazz qui est plus qu’une musique, une plateforme où chaque musicien vient avec sa propre culture, où les esprits du jazz s’expriment et c’est une liberté.
Comme tu l’as si bien exprimé tu as une culture musicale, tu es né à Rufisque au Sénégal, mais comment as-tu rencontré le jazz ?
Mon ADN est blues Rock. Lorsque j’avais 9 ans, je voulais faire une carrière dans le blues. J’écoutais Jimi Hendrix, c’était mon idole, je voulais lui ressembler, j’ai appris à jouer de la guitare pour être une rock star. À l’âge de 14 ans, j’ai rencontré un guitariste de jazz belge qui s’appelait Pierre Van Dorrmael (il est décédé en 2008), qui était venu au Sénégal pour faire des recherches sur la musique traditionnelle et pour enseigner. C’était un guitariste exceptionnel qui s’est installé au Sénégal pendant 3 ans et qui m’a vraiment introduit au jazz. Il m’a fait découvrir le jazz, il m’a ouvert les oreilles et montré toutes les possibilités qu’il y avait. C’était un maître-penseur. J’ai énormément appris et compris pas mal de choses à ses côtés, ce qui fait que lorsque je suis arrivé à Paris à l’âge de 19 ans, j’étais un musicien aguerri.
Revenons sur le jazz sabar, comment es-tu arrivé à cette idée ?
Pendant de nombreuses années, je me suis posé des questions. Mon album, intitulé Cross Over, fait partie de ces questions, il touche à tous les continents. Je suis très curieux, j’aime expérimenter des choses, et j’en fais beaucoup. Lorsque je suis arrivé à Paris, j’ai joué tous les styles de musique possibles et imaginables, je faisais partie de plein de groupes, c’était génial. Paris a toujours été le terrain parfait pour me nourrir, ensuite je suis allé aux États-Unis, j’ai appris les bases du blues à Chicago où j’ai rencontré des musiciens, puis à New York. Toutes ces rencontres m’ont permis de me construire et de jouer une musique qui me ressemble. L’idée du jazz sabar est arrivée par hasard, c’était une révélation : J’étais au Sénégal en vacances, je travaillais des standards de jazz sur mon instrument, ill y avait de la musique autours de moi, du mbalax, du sabar, et j’ai commencé à jouer ces standards sur ce groove que j’entendais. J’étais en train de basculer vers ces rythmes de sabar, puis je me suis arrêté de jouer. J’ai commencé à faire des recherches sur le jazz et le mbalax ou le jazz et le sabar, aucun musicien sénégalais ne l’avait fait. J’ai aussi posé des questions autour de moi et je me suis rendu compte que personne n’y avait pensé. C’était en 2016. Et c’est à partir de là que j’ai commencé à mûrir le projet Terenga. Je me suis dit que si je pouvais le faire avec des standards, je devrais pouvoir le faire avec mes compositions puis avec des standards traditionnels du Sénégal. J’ouvrais une porte avec plein de possibilités. C’est ainsi que j’ai décidé de faire un album en 3 parties : Mes compositions, des standards et la musique traditionnelle. J’ai fait des recherches sur la musique traditionnelle sénégalaise, ce qui est un autre travail, j’ai rencontré des musicologues, et je me suis rendu compte que nos musiques traditionnelles n’étaient pas forcément archivées. J’ai donc choisi des musiques traditionnelles qui se marient naturellement avec le jazz et j’ai ajouté quelques compositions. C’est comme cela qu’est né le jazz sabar. Le nom s’est aussi imposé. Je ne voulais pas utiliser le mot mbalax, qui est une branche du sabar et qui ne représente pas tout le Sénégal. Je trouve que le langage du sabar est beaucoup plus fidèle.
Ta musique est un vrai voyage, je la ressens beaucoup plus blues. Tu parles des traditions, ton jeu de guitare est acoustique, qu’est ce qui caractérise ta musique ?
C’est une question identitaire. Je suis métissé, je vis en France. Suis-je légitime pour dire que je viens du Sénégal ? J’ai résolu l’équation en me disant que ce n’est pas le pays qui me fait mais plutôt moi qui le fait. Il a fallu que je choisisse d’être une voix du Sénégal et d’y être plus présent. Il y avait un désir et un besoin d’un retour aux sources. J’étais parti tellement loin dans les autres styles musicaux que je me suis rendu compte que je maitrisais mieux le blues et le jazz que la musique de chez moi.
En ce qui concerne le choix de la guitare, ce n’est pas tout à fait une guitare acoustique. Je recherchais un son organique, plus expressif, qui n’a pas besoin de passer par des effets pour capter l’esprit. Et c’est en écoutant les guitaristes manouches que je me suis rendu compte que c’est le son qui pourrait fonctionner, j’ai donc opté pour une guitare manouche qui a été fabriquée pour ce disque.
Ta musique, même si on entend beaucoup de sons, est très épurée
En fait je voulais avoir une certaine liberté. Je m’explique : Plus il y a de musiciens, moins on est libre. Je prends toujours le parti d’avoir d’excellents musiciens et d’avoir un champs d’expression large. Je suis aussi un adepte du trio. L’idée de porter un style musical attaché à un pays est aussi qu’il soit porté par des personnes issues de ce pays. Raison pour laquelle ce projet est porté par des Sénégalais. Ensuite, il peut être porté par d’autres personnes, un peu comme le jazz, la salsa, ou l’afrobeat aujourd’hui. D’autres musiciens commencent à suivre ce chemin que je crois passionnant.
Tu disais tantôt que tu as joué des musiques issues de plusieurs cultures, est ce que ça t’a aidé dans tes choix ou dans ta façon d’évoluer ?
Le travail que j’ai fait ces 20 dernières années m’a beaucoup apporté. J’ai toujours travaillé dans le sens où j’apprends une manière de réaliser un album, comment on arrange les cordes ? Comment on conçoit une musique ? Ce sont des choses qu’il fallait que je maîtrise pour pouvoir sortir de nouvelles idées. En tant que compositeur, il est essentiel de pouvoir faire certaines choses soi-même aujourd’hui.
C’est vrai que si on compare ce que tu as fait avec Somi, Lisa Simone ou Omar Pène, ce sont des univers différents dans lesquelles tu t’insères parfaitement. Et on reconnait ta patte ou ta marque de réalisateur.
À force de travailler ça se met en place. Il y a des gens qui parfois écoutent des morceaux à la radio et me reconnaissent. Ça fait plaisir, nous avons tous quelque chose qui nous caractérise, quelque fois ça nous dérange parce qu’on a envie de changer, mais l’idée, en ce qui me concerne, est de me nourrir des autres. Je continue à travailler avec d’autres artistes.
Tu as rajouté une corde à ton arc, c’est le chant. Dans l’album Jolof, tu chantes.
J’aime bien surprendre les gens sur des choses sur lesquelles on ne m’attend pas. Sur mon album solo je chante, je me surprends.
Qu’est ce qui t’a poussé à le faire ?
En fait, c’est un très long processus, qui m’a pris beaucoup de temps. À l’âge de 9 ans, je chantais déjà. C’était comme un don. Je pouvais chanter tout et n’importe quoi naturellement, j’étais déjà musicien. Lorsque je suis passé à l’adolescence, j’ai mué, ma voix a changé. Je n’arrivais plus à faire certaines choses. Puis j’ai arrêté de chanter. Pendant des années, Je me cachais derrière la guitare. Et pourtant j’avais envie de chanter. Les années passent, j’intègre d’autres groupes, on m’incite à faire les chœurs, ça passe plus ou moins bien, je n’arrive toujours pas à assumer ma voix.
Mais cette fois-ci je me suis vraiment lancé, j’assume, c’est peut-être l’effet Covid et confinement. J’ai découvert que la voix est un muscle, un instrument qu’il faut travailler, que c’est la particularité de notre voix qui fait notre charme. On délivre beaucoup d’information avec la voix.
Qu’est-ce que le fait de chanter en wolof t’a apporté ?
Il y a deux choses que j’ai fait dans cet album : J’ai écrit mes propres chansons que j’ai chanté. Il y a quelques années, j’allais voir les gens, je leur expliquais ce que je voulais et je faisais chanter un chanteur ou une chanteuse. Mais pour cet album, j’ai pris mon stylo, j’ai écrit et j’ai chanté. C’est arrivé très facilement. J’ai pris confiance en moi et j’assume mon choix. Je pense que tout musicien devrait chanter. Lorsqu’on chante sur ses propres compositions, on les vit totalement différemment. La voix est l’instrument le plus démocratique et nous avons tous une voix différente.
Quel est le message que tu portes dans Jolof ?
Je m’adresse aux jeunes, à ceux qui prennent un billet sans retour. Je leur dis : vous avez le pouvoir, parce que sans vous le pays n’est rien. Vous êtes demain, donc battez-vous.
Propos recueillis par Samuel Nja Kwa
Hervé Samb sera en concert le 31 mai 2023 au New Morning à Paris
Plus d’infos hervesamb.com