La grande histoire de Benjamin Tanguy et Jazz à Vienne

Directeur artistique du festival Jazz à Vienne depuis 2010 toutes scènes confondues (Cybèle et grande scène), Benjamin Tanguy passe en revue des moments forts qu’il a vécu et passe le témoin à Guillaume Anger. Il se confie à Couleur Café.

Couleur Café : Être directeur artistique d’un festival qu’est-ce que ça suppose ?

Benjamin Tanguy : Lorsqu’on est directeur de festival, le plus dur au début est de dire non.  Parce qu’on a beaucoup de propositions intéressantes, on a la chance d’entendre plein de projets qu’on aimerait programmer, mais il faut répondre à un cahier de charge. Le cahier de charge de Jazz à Vienne c’est l’unique scène payante, qui doit être rentable. Elle est la plus regardée, on montre l’évolution, il y a tout un équilibre à trouver entre les noms attendus, les nouvelles générations, les projets de créations. Ça demande beaucoup d’énergie, on passe par des moments de doute de ses capacités à monter des programmes, de savoir exactement si on a fait les bons choix.

CC : Tu as vécu une grande histoire avec le festival Jazz à Vienne

BT : Je suis arrivé comme stagiaire en 2009, ensuite je suis allé bosser 1 an à Nîmes, puis je suis arrivé en septembre 2010 d’abord en tant que programmateur des scènes gratuites et responsable de l’action culturelle et depuis 2016, co-directeur et Directeur artistique en gardant la programmation du club, de Cybèle et le développement à l’international : États-Unis, Japon, Brésil, Togo. 

CC : Avoir un carnet de charge signifie que tu travailles toute l’année en fait…

BT : Tout à fait. Mais il est fait selon ma sensibilité. Le nouveau directeur artistique, Guillaume Anger, aura sa façon de faire, mais très peu de choses vont évoluer, il n’y a qu’une scène payante et c’est très bien comme ça.

CC : En réalité, le festival dure combien de temps ?

BT : Je dis toujours qu’il dure 15 jours, mais c’est plutôt 3 semaines.  Cette année, nous sommes sur 18 jours de festival, en comptant la partie jeune public.

CC : Sur la scène payante comment s’articule la programmation ?

BT : Les soirées thématiques ont été mises en place par Jean-Paul Boutellier. Le fait d’avoir ces labels donne une liberté assez intéressante pour présenter plein de couleurs, faire plein de mélange et présenter différentes générations de musiciens. Cette année, nous avons présenté une soirée Cuba avec pour commencer un latin Jazz dans sa forme classique et moderne avec Harold Lopes-Nussa, produit par Michael League, puis une tradition Son avec Grupo Compay Segundo pour terminer sur des combinaisons afro funk de Cimafunk. Donc on raconte une histoire.

CC : C’est une façon de raconter l’évolution du jazz avec tous ces croisements.

BT : Oui on parle de nouvelles générations, de nouveaux sons, de l’intérêt de ces artistes à raconter autre chose tout en respectant la tradition. C’est ce qu’il y a de génial.

CC : Durant la période où tu as été directeur artistique de ce festival, j’imagine que la période la plus difficile a été celle de la COVID-19

BT : C’était très difficile. Je ne l’ai pas très bien appréhendée, je l’ai mal vécue. Lorsqu’on a un rythme soutenu depuis une dizaine d’année, ton corps et ton esprit y est habitué. En 2020 on n’a rien fait, c’était compliqué mais nous étions tous embarqués dans le même bateau, on ne pouvait rien faire. En 2021, les ¾ des festivals n’ont pas pu se tenir, on s’est battu pour faire cette édition cette année-là, on s’est retrouvé parfois seul à prendre des décisions, nous avons eu la sensation d’être un peu abandonnés par les pouvoirs publics, c’était un moment de doute, à savoir quel est notre rôle dans la société. 80% du programme qu’on avait présenté au mois d’avril avait changé durant le festival. Nous avons créé un fichier qui représente tous les changements, les remplacements et les annulations qu’on a dû faire. Salif Keita qui était venu pour 2 concerts mais était en quarantaine à Paris, Lianne la Havas c’était pareil, c’était difficile. On ne pouvait pas s’appuyer sur d’autres festivals, il y a eu la distanciation sociale, la jauge, les couvre-feux, la fermeture des frontières. Il y a eu des moment où nous n’étions plus une famille, par contre le public était là, il a senti qu’on se battait pour le festival et on s’est rendu compte qu’on avait un des plus beaux public.

CC : Avec du recul, fallait-il que le festival se tienne durant cette période ?

BT : J’ai failli dire que dès les premières notes tout était oublié. Nous avons bien fait de faire cette édition pour les artistes et le public qui nous ont remercié de nous être battus pour qu’il se tienne. Les bénévoles, les techniciens, tout le monde était ravi, c’était fort. 

CC : Quels sont les moments forts que tu retiens pendant ces années passées à Jazz à Vienne ?

BT : Il y en a plein, entre le fait de découvrir un artiste, de te dire qu’il faut le présenter au public et de voir les réactions positives, il y a eu beaucoup de moments d’émotion.

CC : Quel bilan dresses-tu de ces années ?

BT : Il y a une augmentation du public de 15 à 20%, il est de plus en plus varié, de plus en plus jeune, il y a un travail de communication qui est fait en direction des familles. On sait que le jazz souffre souvent du vieillissement de la population et de son renouvellement, c’était un de mes objectifs.

Propos recueillis par Samuel Nja Kwa

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