LA QUÊTE ARTISTIQUE D’AGATHE DJOKAM TAMO
Par Samuel Nja Kwa / Photos : Maurine TRIC ; Pierre Alain MOREL
Passionnée, inventive, la camerounaise Agathe Djokam Tamo ne s’exprime que par la danse. Suite à une sélection à la première édition du festival La Nuit Blanche à Douala en 2014, elle entre dans la danse et décide d’en faire son métier. Dès lors, tout s’enchaîne. Des bourses de résidences, des festivals, une formation à l’école des sables de Germaine Acogny au Sénégal, des voyages. Elle nous fait part de sa résidence à la Cité Internationale des Arts à Paris, et de ses projets.
Tu viens de passer trois mois de résidence à la cité internationale des Arts à Paris, quel était l’objet de cette résidence ?
Ces trois mois de résidence marquent une seconde étape pour mon projet. Suite à la résidence effectuée en 2019 au sein des Ateliers Frappaz dans le cadre d’une aide à La Création, cette œuvre prend de l’ampleur au cœur de la Cité Internationale des Arts, et ce dans le cadre du programme TRAME 2020, dont je suis l’une des 10 lauréates.
Qu’est-ce que cette résidence t’a apportée de plus ?
La cité est un lieu de vie, où se croisent plus de 300 artistes pluridisciplinaires, de cultures et de visions différentes. C’est un espace créatif adapté au travail introspectif et individuel.
La cité m’a permis d’être dans un lieu approprié pour penser et confiner mes intentions autour de ce projet de danse. Elle m’a donné cette possibilité de m’investir et d’aller plus loin dans le projet ECHOGR’ART-PHIE. J’ai pu ainsi me réapproprier des matériaux chorégraphiques, et trouver de nouvelles voies d’exploration. La Cité étant située non loin du Mémorial Juif, je m’y suis rendue. Ainsi ont émergé des questions sur la place de ce projet au cœur de cette période fragile, son rôle et apport social et humain, mais aussi sa place sur les différentes scènes à venir. C’était une belle opportunité d’exister autrement en rencontrant d’autres corps et œuvres artistiques. J’ai aussi pu concrétiser des dates à venir en France et Bruxelles, ma collaboration avec l’artiste pluridisciplinaire Wilfried NAKEU.
Il y a eu une restitution de ta résidence, peux-tu nous parler de la pièce que tu as présentée ?
Echogr’Art-Phie est l’image d’une échographie sociale face aux phénomènes physiologiques liés à la femme et l’humanité. Avec le corps comme moteur d’expression et la danse comme langage, j’interroge ce chapitre intime de la vie, entre art et société, au rythme du cycle menstruel, en croisant processus chorégraphique et processus de grossesse. Echogr’Art-Phie est une thérapie qui me permet de transcender le quotidien intime de la femme à travers la danse, qui pour moi est un potentiel outil de développement personnel, social et culturel. Pour la danseuse que je suis, les menstruations et ovulations, omniprésentes dans ma vie quotidienne d’artiste, deviennent une forme d’art que je souhaite explorer entre œuvres et naissance humaine. C’est aussi le moyen pour moi d’établir le rapport entre pureté et impureté, des corps, des gestes, des pensées, de l’humanité, pour parvenir au repère où s’embrassent art et société. Je pense d’ailleurs que tout individu, quel que soit le genre, devrait interroger humainement ce mécanisme de la vie. Cette œuvre de danse est un lien avec mon premier projet de danse solo intitulé ENERGIE, qui questionne les épreuves et les choix de la vie. Echogr’Art-Phie interroge les épreuves et les énergies que traversent le corps et l’esprit : un moyen d’aborder autrement les douleurs et les difficultés de notre quotidien.
Comment questionner sous une autre forme de dialogue ce sujet sensible mais pourtant tabou ? Comment aborder autrement la place du geste anodin lié aux menstruations ?
A mon avis, le corps de la femme demeure le fruit incontournable du mystère de la création, c’est pourquoi je l’adopte comme moteur principal pour ce sujet que je soumets à une réflexion commune. Je souhaite, à travers ce projet, interroger et transformer ce rite physiologique que subit involontairement l’organisme entre menstruations d’une part et grossesse d’autre part. Des douleurs mensuelles à la fécondité de la pensée, le corps pourrait trouver sa place, une place juste, en rapport aux aspects positifs que revêt cette singularité organique. Il est aussi question par ce spectacle, de soumettre mon inventivité à une autre forme de liberté, et approfondir mon approche sur le plan social, pédagogique, éducatif et culturel.
Cette pandémie a-t-elle bouleversé ton programme ? Comment est-ce que tu t’es organisée ?
Avant d’arriver à la Cité Internationale des arts sur Paris, après toute une année blanche, je peux affirmer que j’étais préparée. En outre, ce projet est nourri de manière inévitable par cette réalité sanitaire. Quelle que soit l’actualité, les corps féminins continuent le voyage entre menstruations, ovulations et procréation. Je me suis plus organisée de manière réaliste et humaniste, pour transformer positivement toutes les contraintes et règles liées à cette pandémie. C’est dans cet axe que j’ai proposé et effectué au sein de la Cité, mon projet JUMP MIND, en collaboration avec la musicienne de la Réunion JUDITH PROFIL aka KALOUN, par une traversée de 20 O21 sauts à la corde sans arrêts pour trouver les mots vaccins essentiels, pour magnifier 20 021 raisons de faire partir des survivants de cette pandémie
Quels sont tes nouveaux challenges ?
La mise en œuvre du projet JUMP MIND Pages après P’ages (qui inclus quelques lignes artistiques du projet ECHOGR’ART-PHIE) avec lequel je suis lauréate du SOFACO lot 2 spécial Covid, ayant pour objectifs la production du livre JUMP MIND Pages après P’ages et de l’œuvre chorégraphiée, entre danse, texte et musique.