Laura Prince est Adjoko
Suite à son premier opus, Peace Of Mine, La chanteuse de jazz franco-togolaise revient au-devant de la scène avec Adjoko. Un album à travers lequel elle va à la rencontre de ses ancêtres, pour retrouver une paix intérieure. Elle nous invite à l’immersion et partage son parcours initiatique. Welcome to Togo.
Couleur Café : Tu sors ton deuxième album, intitulé Adjoko, quelles sont tes sensations ?
Laura Prince : Soulagée ! Créer c’est toujours un supplice, c’est un processus qui n’est jamais évident.
Couleur Café : Comment as-tu procédé pour le produire ?
Laura Prince : J’ai suivi ma propre voie, comme un voyage initiatique impliquant le retour vers la terre de mes ancêtres. C’est ce qui m’a guidée vers le lieu qui m’inspire, le village de mon grand-père, de ma grand-mère. C’est tout simplement ça.
CC : Peux-ton dire que le fil rouge de cet album, est la voix de ton père, on l’entend chanter, te parler ?
LP : Oui, ce n’est pas forcément fait exprès. Au fur et à mesure de la création, j’avais l’impression qu’il fallait que je le fasse apparaître de cette manière. Ta question est pertinente car effectivement, c’est un fil rouge non prémédité.
CC : Quel rapport entretiens-tu avec lui ?
LP : C’est le seul lien que j’ai avec l’Afrique. Au départ, la relation est fusionnelle. Puis après, un petit peu tiraillée dans le sens où mon père ne m’a pas tout de suite soutenue dans mes désirs de faire de la musique. Aujourd’hui, on s’entend mieux. C’est un mélomane, et puis il est fier de sa fille, de ce que je fais. Donc pour moi, c’est un rapport normal, de père à fille. Il m’aide à me sentir plus à ma place lorsque je suis dans son pays, qui est aussi le mien.
CC : Qu’est-ce qui t’a emmenée à faire de la musique ?
LP : Il y a forcément un lien avec mes parents. Les deux ont toujours aimé la musique. Depuis toute petite, j’ai été bercée par plein de musiques que j’entendais à la maison, de tous horizons. Il n’y avait pas de barrière. J’ai écouté aussi bien des chansons françaises, que du jazz, du blues, de la country, de la musique classique ou des musiques africaines. C’est ce qui m’a emmenée à aller vers la musique, à mon insu.
CC : Qu’est-ce que la musique t’apporte ?
LP : La guérison, du bien-être, de l’oxygène, une manière de m’exprimer, de dire les choses autrement. Et puis, je me rends compte, au fur et à mesure de mon chemin de vie, qu’elle a un lien avec ma mission, qui est peut-être différente ou complémentaire : Celle qui consiste à aider d’autres personnes à guérir, à retourner vers leurs racines. En tout cas, j’ai l’impression que cet album m’amène à ça.
CC : Est-ce que tu parles la langue de ton papa ?
LP : Je n’ai pas appris l’Éwé, plus particulièrement le mina que parle mon père. C’est ce que je soulève dans cet album, tout en chantant dans la langue. Je n’ai pas eu la chance de l’avoir apprise pendant mon enfance mais j’ai une forte envie de pouvoir la parler et la comprendre. J’ose à peine quelques petits mots que je peux utiliser au quotidien, mais on est encore loin du dialogue total. Dire que ce n’est pas parce qu’on n’a pas appris qu’on ne peut pas la chanter dans la langue de notre parent est un pied de nez. Je comprends tout de même ce que je dis. Mais pour certaines choses, comme chanter, j’étais obligée de passer par une personne qui me faisait répéter les mots pour une meilleure prononciation.
CC : Est-ce qu’en comprenant ou en chantant dans cette langue-là, ça t’a amenée à mieux t’imprégner de ta propre culture ?
LP : Oui, je pense, d’une certaine manière. Ce n’était pas forcément le but, c’était réellement une envie de création.
CC : Mais dans la mesure où tu dis que c’est un processus de « guérison »
LP : Ah Oui, on va dire que si, lorsque je retourne au Togo par exemple, je sens bien qu’il y a un peu de ce « gap » ; cet écart entre moi, qui parais « Yovo » (blanche), parce que je suis blanche là-bas d’après eux, celle qui ne parle pas la langue. Si j’arrive effectivement à la parler, ça resserre un peu l’écart. Du coup, je me sens plus imprégnée, je fais un peu plus partie de cette partie de moi.
CC : Comme tu dis, tu parais blanche, mais la langue aussi peut faire en sorte que tu ne paraisses plus blanche.
LP : Oui, justement, c’est exactement ce que je veux dire par là. La langue peut te permettre d’être beaucoup plus intégrée à une société, à une communauté.
CC : Et quand tu y es, comment t’y sens-tu ?
LP : Je me sens moi. Au départ, c’était un peu difficile quand je ressentais un espèce de rejet, pas forcément volontaire de certaines personnes. Aujourd’hui je me sens à l’aise avec qui je suis, avec comment je suis. D’autant plus que je viens de recevoir ma carte d’identité togolaise ! Je me sens plus légitime encore.
CC : Peut-on dire que ton album exprime tes ressentis ?
LP : Oui tout à fait. J’exprime mon métissage. Avec des influences jazz, soul, peut-être même pour un ou deux morceaux un peu pop, R’n’B, et puis la musique traditionnelle togolaise/Béninoise, ainsi que l’ancien high-life, du côté ghanéen.
Propos recueillis par Ewané Nja Kwa
Sortie de l’album : Adjoko, Jazz Eleven, le 25 avril 2025
Concert : New Morning le 24 juin 2025