LE REGARD DECONFINE DE NU BARRETO

Par Samuel Nja Kwa

Originaire de la Guinée Bissau, Nú Barreto vit en France depuis 1989. Artiste pluridisciplinaire, suite à une formation de photographie à Paris en 1993, puis à l’école Nationale des Métiers de l’Image à Paris de 1994 à 1996, il se tourne vers le dessin et le collage. Il marque sa singularité à travers des œuvres fortes où il interpelle son audience sur des questions sociétales. A la galerie Nathalie Obadia, il pose son regard sur le monde aujourd’hui et propose une exposition intitulée L’imparfait et l’impératif. Visite guidée.

Qu’est-ce que la photographie a apporté à votre façon de peindre ?
Elle ne pouvait que m’être utile et positive. J’ai longuement appris de la photographie. Cet apprentissage technique est un atout considérable dans l’abord de la peinture et du dessin. L’associer à cette atmosphère distincte et antagonique (sur quelques aspects), m’a appris à regarder et à placer les modèles ou les objets, de façon à mieux appréhender le sujet. J’ai aussi perçu dans la photographie une façon de composer une peinture. L’utilité de ces deux médiums est conciliable et indissociable.

Vous avez une démarche plutôt plasticienne, consistant à mixer collages, dessins, graphisme sur une même toile. Pouvez-vous nous expliquer votre technique ?
Elle consiste à donner vie à une œuvre composée de divers matériaux qui s’assemblent. J’aborde une démarche contemporaine, identique à celle utilisée par des milliers d’artistes dans le monde. C’est un plus dans mes créations, et l’utiliser fait sens. J’ai développé cette technique depuis quelques années. Partant de mon concept, « RR » = Recycler Restituer, je me régale en ramassant tout ce que je trouve et en lui donnant une deuxième vie. Ainsi naît une œuvre. Je ne me considère absolument pas comme un recycleur, je me distingue à travers son écriture artistique.

Votre exposition s’intitule « L’imparfait et l’impératif ». Est-ce une illustration du monde aujourd’hui ?
Elle aurait pu s’appeler « L’Homme et le Confinement », mais ce titre sonne presque parfait. Depuis toujours, je me préoccupe de la société. Différences et indifférences, déséquilibres et perturbations, sont mes raisons d’être en tant qu’artiste. C’est là où je me sens utile et j’espère serviable. Le monde s’écroule et nous affrontons une pandémie sur laquelle je me penche depuis le début en 2020. « L’Imparfait et l’Impératif » est une exposition qui illustre les incohérences ou la difficulté de la pandémie. C’est une brèche ouverte axée sur la problématique de l’espace dans le confinement. Elle s’inscrit aussi sur ma préoccupation de la société que je mène depuis toujours, les difficultés que nous vivons.
C’est donc l’illustration parfaite d’un monde en péril. Il y a un proverbe en Guinée-Bissau qui dit : « Le singe ne pense qu’à construire sa maison que lorsqu’il pleut. Lorsqu’il ne pleut plus, il oublie. »

On trouve dans cette exposition un polyptique de 42 dessins. Ce nombre a-t-il une signification particulière ? Pouvez-vous le décrire ?
Ce nombre n’a aucune signification particulière. Aimant ce type de format, polyptique (42 pièces), j’ai décidé de l’utiliser.
L’étrange confinement de Mars 2020 frappe le monde et je me suis donné pour défi de produire chaque jour, tout ce qui me traversait l’esprit. De ce défi, trois polyptiques intitulés « Traços Diário » ont été créés. C’est un carnet de bord du confinement, où le rouge, habituel, et le noir prédominent. L’évolution de ce travail, laisse apparaître un collage plus affirmé, non pas comme un fait nouveau, mais comme une préoccupation. Donnant ainsi du volume, cherchant d’autres horizons. On aperçoit des signes et des chiffres, qui correspondent au nombre de décès et de contaminés dans le monde. À mi-parcours, ce fut un moment à la fois intense et préoccupant. Je m’imaginais devant tous ces cadavres.

Certaines de vos œuvres font penser à un ghetto en Afrique, les personnages semblent torturés, fragiles. Quel est votre regard sur l’Afrique ?
Il est évident que le fait de vivre à l’étranger est incontestablement un privilège, dans le sens où, je vois l’Afrique de l’extérieur et de l’intérieur. Ce continent est insaisissable, dans tous les sens du terme. Lorsque que vous pensez le saisir, il vous échappe.
Ma fascination à chaque voyage est inexplicable. Mon expo « Africa-Renversante, Renversée » est la réponse idéale à la question. Maltraitée, martyrisée, malmenée, mal soignée, mal jugée, mal vue par ceux qui n’y ont jamais foulé les pieds, l’Afrique est le cœur et le poumon du monde.
L’œil de l’intérieur est d’autant plus fascinant, servant de source et de paix. Je suis un autre africain en Afrique.
Soyons nous-mêmes, n’attendons rien par compassion. Bâtissons l’Afrique rêvée. Assumons-nous, éradiquons nos démons. Je reste persuadé que nous gagnerons ce combat. Bien souvent, une aide cache une contrepartie.
Il est extrêmement important que l’Afrique ne s’enferme pas dans un patriotisme ou nationalisme fantaisiste. Changeons et échangeons.

Les personnages du tableau intitulé « La nuit » semblent enfermés, confinés. Quel est le message de cette œuvre ?
C’est effectivement le sujet ou la narrative qui semble subtile. Elle force donne le ton, d’une vie plus sombre dans une pénombre envahissante des hommes confinés. Les bouteilles font offices de réclusions ou enfermement. Que nous reste-t-il comme liberté ? À quoi sert un grand espace dans le confinement ? Dans un confinement, la nuit et le jour sont-ils différents ? Ces errances illustrent les questions que prône cette exposition. L’Art est un instrument ambigu, dont le seul but est de questionner. Il pousse à la réflexion

Êtes-vous optimiste ?
Je suis un optimiste qui questionne négativement, donc, un artiste. C’est aisé mais d’une grande importance, lorsque l’intérêt commun est en cause.

Exposition L’imparfait de l’impératif à voir à la galerie Nathalie Obadia à Paris jusqu’au 12 juin 2021
Pour tout renseignement : www.nathalieobadia.com

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