Marième Ba, les défis de la biennale de Dakar
Secrétaire générale de la biennale de Dakar depuis août 2016, Marième Ba a de grandes ambitions pour cet événement qui fait la fierté du continent Africain. Elle nous parle de ses défis. Rencontre.
Couleur Café : Marième Ba, voudriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Marième Ba : J’ai une formation en sciences-politiques et en communication et marketing et j’ai travaillé dans le privé, notamment dans des institutions financières. Depuis 2012 que j’ai intégré les hautes sphères de l’administration sénégalaise, notamment le ministère de la culture.
CC : Quelles sont vos principales préoccupations en tant que secrétaire générale de la biennale de Dakar ?
MB : La préoccupation première de l’institution que je représente, à savoir le secrétariat général de la biennale de Dakar qui est sous la tutelle du ministère sénégalais de la culture, est de faire de cet événement, initié conjointement par la communauté artistique sénégalaise et le pouvoir public, un véritable tremplin pour de jeunes talents en matière d’arts visuels. La biennale veut faciliter la mobilité des œuvres créées, mais aussi des créateurs dans tous les sous-secteurs et l’écosystème des arts visuels.
La biennale évolue depuis quelques années. Lors des deux dernières éditions notamment, l’événement s’est ouvert à d’autres disciplines artistiques, mais aussi à l’artisanat et au tourisme. L’idée est de créer de plus en plus d’espaces de pluridisciplinarité et de transdisciplinarité, où les arts visuels pourraient rencontrer la musique, le théâtre et tous les arts vivants. C’est cela l’intérêt de la biennale de Dakar ; nous voulons en faire une manifestation vraiment inclusive, qui réponde toujours aux standards internationaux.
Nous figurons dans le top 5 des plus grandes biennales du monde, aux côtés de la biennale de Venise (Italie) par exemple. Cela est une très grande fierté !
Notre événement est de plus en plus couru – cela trahit bien la grande exigence qui est faite dans la qualité des propositions artistiques, les sélections des équipes « curatoriales », mais aussi dans la gouvernance de notre événement qui se veut très efficiente.
CC : Quels sont les défis que rencontrez en tant que secrétaire générale de cette biennale ?
MB : Les défis sont essentiellement d’ordre organisationnel : Les parties prenantes à la biennale sont nombreuses : les artistes, les critiques d’art, les universitaires, les historiens d’art, les collectionneurs, les marchands d’art, les agents d’artistes. C’est donc toujours une gageure pour l’administration de réunir toutes ces personnes et de tout organiser comme il se doit, pour permettre au touriste profane qui vient découvrir la biennale, d’avoir un programme à la carte.
CC : Quelle est la place selon-vous, de l’art contemporain africain dans le monde ?
MB : Au regard de la revue documentaire et de tout ce qui s’écrit à travers le monde, l’art africain occupe une place de choix en termes de créativité, d’innovation, mais aussi et surtout pour sa valeur marchande.
Des artistes africains du continent et de la diaspora sont présents sur l’échiquier mondial et leurs œuvres sont en vente sur les géants marchés que représentent Londres, Paris, New York, Los Angeles, le Japon ou encore la Corée du Sud. L’engouement suscité par les arts africains est de plus en plus grandissant, tant dans les galeries, chez les marchands d’arts, qu’au niveau même des différents marchés mondiaux.
CC : Que représente Dakar pour les artistes qui y passent ? Quel est l’impact de la biennale sur leurs carrières ?
MB : Il y a un impact pour les créateurs, cela est une évidence. La biennale est un tremplin pour les artistes qui y exposent leurs œuvres. Il y a 3 ans, vers 2019, une sélection avait été faite pour la rencontre qui avait été reportée en raison de la crise sanitaire du Covid-19. La liste a tout de même été maintenue pour l’édition suivante et nous avons demandé aux artistes qui y figuraient d’approfondir leur travail en attendant l’édition suivante. Nous avons observé avec joie que beaucoup d’entre eux ont vu la valeur de leurs œuvres croître sur le marché ; certains ont même été approchés par des agents, juste pour avoir figuré sur la sélection de la biennale de Dakar. La situation a obligé ces artistes à mieux se structurer dans leur processus créatif, mais aussi dans la manière de présenter leurs œuvres et de les commercialiser. Rappelons-le, la structuration du travail des artistes est une des orientations majeures de la biennale.
Nous avons également un volet formation pendant la manifestation, qui est bénéfique aux participants. Une série de panels et de talks se tiennent, pour les instruire sur la création mais également sur l’environnement, notamment les lois et règles en vigueur non seulement en Afrique, mais aussi à travers le monde, et qu’il importe pour eux de connaître. Des organisations importantes prennent part à ces sessions, notamment l’UNESCO, l’Organisation Mondiale de Propriété Intellectuelle (OMPI), donc ce sont des moments de partage et d’échange qui profitent vraiment aux participants. Cela favorise aussi des collaborations entre des artistes de différents pays, de différentes générations et disciplines.
C’est tout cela qui fait vivre la biennale.
CC : Auriez-vous des suggestions pour le développement du marché africain de l’art ?
MB : S’il est vrai que les œuvres africaines ont de la valeur à travers le monde, il faut reconnaitre que le marché continental est encore en phase de balbutiement. Il y a des marchés qui ont un fort potentiel comme le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Maroc ou encore le Sénégal, mais il reste encore beaucoup à faire pour les rendre plus viables. Des dispositifs comme la biennale peuvent permettre à ces marchés de mieux se développer, car ils ramènent des historiens et théoriciens qui étudient ce qui se fait et le documentent, et ce qui est très important.
Ce type de manifestation permet aussi un réseautage vital pour tout marché qui aspire à se développer. Les biennales permettent aussi la cotation des artistes. Il faudrait également mettre en place un certain nombre d’institutions comme un conseil de ventes par exemple, pour évaluer le travail des artistes et définir des normes de vente. Si tout est bien encadré, nos marchés pourraient vraiment se développer.
Il faut aussi confronter les artistes et leurs modes de création ; ce qui va permettre une saine concurrence favorable au développement du marché.
Il faudrait aussi susciter un sens du renouvellement dans la création, car un marché où les artistes savent se réinventer et toujours concevoir de nouvelles choses est forcément très attractif ; il intéresse inexorablement les collectionneurs et marchands d’art. Les technologies nouvelles font partie des pistes à explorer pour développer nos marchés, notamment les Non-Fungible Token (NFT) qui sont très utilisés désormais pour la vente des œuvres dans des pays comme les États-Unis ou le Japon. Les marchés africains devraient vraiment s’inspirer de toutes ces choses-là.
CC : Quelles-sont les initiatives prévues pour rendre plus attractive la prochaine biennale de Dakar, prévue en 2024 ?
MB : Nous sortons d’une édition 2022 bien spéciale et exceptionnelle, saluée par la communauté créative d’Afrique et du monde. Nous envisageons de poursuivre sur cette lancée, avec toujours des innovations comme nous savons en faire. Nous souhaitons implémenter de nouvelles choses en nous fiant bien-entendu, aux recommandations émises par les participants aux éditions antérieures. Nous envisageons une ouverture encore plus grande au secteur privé national et international, aux entités et fondations qui s’intéressent à l’art contemporain d’Afrique.
Nous allons rendre encore plus efficiente la gouvernance de la biennale, en revoyant son statut et celui des artistes qui doivent y participer. Tous les différents aspects seront revus pour permettre une organisation qui réponde aux normes internationales en la matière.
Nous allons également préserver ce qui fait la particularité de cette biennale de Dakar ; c’est une manifestation organisée par l’État et pour l’Afrique, mais qui s’ouvre également au secteur privé et au reste du monde – une ouverture qui s’observe dans le caractère international de la programmation et des équipes « curatoriales ».
Nous mettrons également un accent sur les discours et les messages des artistes que nous considérons comme des visionnaires. À la biennale, nous permettons aux créateurs de nous dire ces choses qui doivent arriver et qu’ils perçoivent bien souvent avant nous grâce à leur imaginaire.
Comprenez à travers tous ces mots qu’il y a toujours des difficultés à organiser une biennale, mais il n’y a certainement rien de plus charmant et de plus passionnant.
Propos recueillis par Lamine Ba