SISLEY LOUBET, LA TÊTE SUR LES ÉPAULES

Sisley Loubet est une danseuse bien singulière. Née en Guyane, son histoire commence à Cayenne, à l’Association de Danse Artistique Classique et Moderne (ADACLAM). Elle y fait ses premiers mouvements, puis direction Paris, le Centre International de Danse Jazz Rick Odums. 

En 2007, elle suit sa formation à l’école Alvin Ailey à New York, reçoit une bourse de la fondation Oprah Winfrey et rejoint la compagnie Opus Dance Theatre. Au bout de 2 ans, elle danse aux côtés de Shakira. Sa carrière est lancée. On la retrouve souvent derrière ou à côté de  Rihanna, Beyoncé, Alicia Keys, Katy Perry, P. Diddy, Janelle Monaé, LL Cool J, Leona Lewis, Pitbull, Eminem, Mary J Blige et bien autres. Elle se confie à Couleur Café.

Tu as démarré la danse dès l’âge de 6 ans, as-tu toujours su que tu voulais en faire ton métier ?

J’ai toujours aimé danser et j’ai toujours été dans un environnement où il y avait de la danse. Ma propre famille avait une ouverture d’esprit, ma mère dansait de temps en temps. J’avais une fibre artistique qui s’est maintenue grâce à l’école que je fréquentais en Guyane, l’ADACLAM. J’y ai croisé d’autres danseurs et danseuses, nous avons conservé des liens, nous sommes comme une petite famille et certains sont devenus danseurs professionnels aussi. Notre génération est plutôt singulière par rapport à celle qui nous a précédée ou suivi. Ensuite, j’ai fréquenté d’autres écoles et passé des castings tout en ayant plein de doutes.

As-tu tout de suite su vers quel style de danse tu voulais t’orienter ?

J’ai toujours pris ce qu’il y avait devant moi par défaut. C’était vraiment un hobby après l’école. J’ai commencé par du fitness avec ma mère quand j’étais vraiment petite, ensuite j’étais inscrite dans des cours en association, il y avait de la danse classique, de la danse jazz. J’ai toujours aimé le hip hop, j’ai pris quelques cours par-ci par-là, mais ma formation académique a toujours été classique. Lorsque j’ai commencé à travailler je me suis détachée de tout ça tout en préservant mes bases et je me suis définitivement tournée vers une danse plus commerciale, qui est une combinaison du hip hop, jazz, funk, classique.

Tu as été formée à l’école d’Alvin Ailey à New York, qu’est-ce que tu y as appris ?

En 2007, j’avais été repérée par la directrice de l’époque, qui n’est plus parmi nous. Elle avait coutume de venir dans la Caraïbe faire des stages et repérer des élèves qu’elle invitait à New York et leur permettait d’intégrer le programme de danse. J’ai eu quelques performances avec la compagnie en tant qu’élève. Les élèves étaient sélectionnés pour leurs show et représentations au Lincoln Center et City Center. J’ai juste fait quelques scènes en tant qu’élève.

Comme tout parcours on apprend la rigueur, la discipline, c’est un voyage à la rencontre de soi-même, de ses capacités, de ce qu’on aime ou pas, au-delà du mouvement de la danse elle-même. J’ai vécu dans un environnement différent, je suis partie de la Guyane pour Paris, ensuite de Paris à New York, ensuite à Los Angeles. J’ai dû chaque fois m’adapter culturellement à la langue, à la mentalité orientée un peu plus vers l’esprit d’entreprenariat, un peu plus présent aux États-Unis. Ça fait partie de mon parcours, ainsi que la partie technique de la danse qui est quelque part sculptée en moi.

Y-a-t-il une façon différente d’aborder la danse en France par rapport aux États-Unis ?

C’est assez subjectif. Je dirais que la différence vient de l’écoute et du rapport à la musique. L’oreille est différente en Europe. Il y a une tradition très poétique et romantique dans la chanson, lyrique, qui ne développe pas le même instinct vis-à-vis du mouvement. Les morphologies ne sont pas les mêmes, ce qui créé différents styles de mouvements, il y a aussi des différences dans la culture, les philosophies. Aux États-Unis, la culture est assez marquée par le rythme, le beat, un peu comme en Afrique. Tous ces croisements ont créé un style hip hop et une façon bien précise de bouger. Ce sont des différences qui sont ancrées dans la culture et la mentalité.

Tu fais souvent des ateliers avec des jeunes en France, à Paris et en Guyane, qu’est-ce que tu leur apportes et quel regard portes-tu sur la danse aujourd’hui ?

Mes années d’expériences. Tout dépend des villes. S’il y a des niveaux assez élevés en danse, on trouve de plus en plus d’enfants en bas âge qui comprennent très bien la musique. Avec les réseaux sociaux on est tellement abreuvé de danse que ça s’est ouvert davantage. Il y a de plus en plus de gens qui s’y intéressent. Il y a clairement une trajectoire de danse assez ascendante par rapport à mes débuts, un réel engouement pour la danse aujourd’hui.

Il y a aussi ce métissage culturel qui se reflète dans la danse.

Tout à fait. Dans le paysage digital on peut voir qu’il y a beaucoup de métissage, de mélanges qui s’opèrent entre les cultures. Les jeunes sont inspirés par ces musiques afrobeat. On verra de plus en plus de personnes d’origines diverses qui dansent et comprennent le rythme comme en Afrique.

Tu as une grande expérience de danseuse avec des stars de la musique, j’imagine que tu es au courant des castings, comment ça se passe ?

Je travaille avec une agence et c’est mon agent qui se charge de m’envoyer les castings et de me dire quelles sont les opportunités.

Lorsque tu fais partie des danseuses qu’un(e) artiste retient, comment abordes-tu ses chorégraphies ?

En général un artiste travaille avec un chorégraphe. Il faut donc rechercher quel est le style de ce chorégraphe ? ses exigences. En tant que « free dancer » on doit toujours s’adapter au chorégraphe, à leur façon d’être et de travailler. Il y a bien sûr l’artiste, mais c’est d’abord le chorégraphe qui créé, qui instaure l’atmosphère du travail. En général, il y a des codes et des règles qu’on apprend avec l’expérience.

Il y a aussi des danseurs ou danseuses qui ont plus de liberté…

Dans la dance commerciale par exemple, on va faire appel à des artistes qui ont des corps ou des looks similaires pour créer un ensemble. Il y a aussi des danseurs ou danseuses qu’on engage parce qu’ils /elles ont un talent différent et qu’on isole pour faire un « close-up » sur eux/elles. Je pense notamment aux « free stylers » ou à des personnes qui font des claquettes.

As-tu eu l’idée de créer ta propre compagnie ?

Oui et non. En fait, j’ai commencé à toucher à d’autres médiums pour m’exprimer, notamment la réalisation en film, le design, photo, graphisme. Pour l’instant je travaille sur mon évolution personnelle, comment combiner ces différents moyens d’expression sans laisser tomber la danse ? Je recherche d’autres moyens d’expression, il est important de connaitre d’autres outils de création. J’ai toujours eu un peu de retenue parce que je n’ai pas encore ressenti ce que j’aimerai exprimer. Au niveau de la danse, je suis à l’aise, c’est mon parcours, mais je n’ai pas envie de créer une compagnie parce que je suis danseuse.

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