Usher Aliman, un dictionnaire mémoriel ivoirien
Spécialiste des cultures urbaines africaines, le journaliste et écrivain ivoirien Usher Aliman est l’auteur de l’histoire du coupé-décalé : Douk Saga ou l’histoire interdite du coupé-décalé, ainsi du livre sur l’histoire de la génération zouglou : Espoir 2000, les secrets d’un zouglou insoumis. Il s’illustre à nouveau avec son dernier ouvrage intitulé Dictionnaire ivoirien illustré, qui illustre la culture et les traditions de son pays. Rencontre.
Comment est née l’idée de ce dictionnaire ivoirien illustré ?
En réalité, l’idée du dictionnaire ivoirien illustré est née d’une série d’observations. En tant que rédacteur en chef presse et télé, je poussais constamment mes équipes à commémorer la mémoire des grandes figures ivoiriennes disparues. Mais ces actions ponctuelles n’étaient qu’une goutte d’eau dans l’océan des personnalités vivantes ou décédées qui méritent notre reconnaissance. C’est alors qu’est née l’idée d’un dictionnaire ivoirien des noms propres. Nous étions en 2007.
L’autre observation est qu’en Côte d’Ivoire, dans les marchés, dans les rues, à la maison, dans les cités universitaires, partout, on ne parle que l’ivoirien… Le parler ivoirien est partout.
Personnellement, dans mes deux premiers livres, j’ai abondamment fait usage du « parler ivoirien ». Et il m’a fallu faire des bas de page pour expliquer les mots et expressions du « parler ivoirien » à mes lecteurs non-ivoiriens. L’idée d’un dictionnaire du « parler ivoirien » est née à partir de là. Ce sont donc ces deux idées mises ensemble qui ont donné le dictionnaire ivoirien illustré.
En combien de temps l’avez-vous réalisé ?
J’ai commencé à travailler à partir de 2007. Donc entre la collecte d’informations, les vérifications et la rédaction, il s’est écoulé 14 années.
Êtes-vous attaché aux traditions ?
Oui, j’y suis attaché. Nos traditions sont vieilles de plusieurs centaines, de plusieurs milliers d’années. C’est une part importante de notre identité. Les modes, les tendances passent, mais les traditions demeurent. Et aucun peuple ne va de l’avant en renonçant à ses propres traditions pour adopter ou singer les traditions des autres.
Votre dictionnaire ivoirien recense des personnalités de l’histoire de la Côte d’Ivoire ainsi que des acteurs peu connus. Il vous a fallu faire des recherches, quels sont les domaines qui vous préoccupent ?
Le Dictionnaire Ivoirien Illustré contient l’essentiel des noms propres de Côte d’Ivoire. C’est un lieu de conservation des grandes idées et des grands événements qui ont marqué l’histoire de ce pays depuis des siècles. Il immortalise l’ensemble des personnes qui se sont illustrées dans différents domaines. Il touche tous les domaines de la vie, tous les secteurs d’activités en Côte d’Ivoire. Le Dictionnaire ivoirien illustré contient également l’essentiel des mots, expressions, interjections, sigles, onomatopées, abréviations… couramment utilisés dans le parler ivoirien.
Est-ce à dire qu’il y a des noms, dans l’histoire de la Côte d’Ivoire, qui se perdent ou est-ce une façon de raconter l’histoire de la Côte d’Ivoire ?
Les noms des ancêtres méritants, des personnages illustres, des grands événements, des lieux de mémoire…ont tendance à se perdre puisqu’on ne les évoque jamais ou trop rarement. Ces noms permettent, effectivement, de raconter l’histoire de la Côte d’Ivoire dans la continuité, depuis les premiers peuplements jusqu’à nos jours.
Ces noms peuvent-ils être utilisés comme prénoms ?
Oui. Certains personnages illustres portaient des prénoms qui avaient déjà été portés par leurs ancêtres. De nos jours, je pense que nous devons nous réapproprier ces noms en les donnant à nos enfants. Cela peut aider à perpétuer notre mémoire.
Les noms dépendent-ils de la région d’où l’on vient ? Y a-t-il des spécificités ?
Généralement, les ancêtres méritants et les personnages illustres que j’ai étudiés portaient des noms qui sont ancrés dans les différents terroirs où ils ont vécu. Ils ne portaient pas de noms étrangers.
Comment adopte-on un nom ? Peut-on changer de nom durant le cours de sa vie ?
C’est une vaste question. Les noms auxquels j’ai eu affaire ont généralement une valeur sociologue. Il y a des noms pour le premier né d’une famille, pour le premier garçon, pour la première fille, pour le septième enfant, pour le huitième enfant, le dixième enfant. Il y a des noms qu’on donne en fonction du jour de naissance, en fonction des évènements qui ont précédé la naissance. Il y a des noms des ancêtres qu’on donne aux nouveaux nés, etc. il y a de nombreux critères dans l’attribution des noms. Mais tout cela obéit à des critères nombreux et variés. Par contre je ne sais pas si nos devanciers changeaient de noms. Je peux juste dire que certains utilisaient parfois des surnoms et des noms de guerre. Et ces surnoms et noms de guerre finissaient par être plus connus que leurs véritables noms.
Comment les villes reçoivent-elles leur nom ? Ont-ils une signification particulière ? Que signifie Abidjan par exemple ?
Beaucoup de noms de villes et villages ont une valeur sociologue. Mais il y eu des erreurs dans la transcription dans les langues des différents colons (portugais, hollandais, britanniques, français…). Pour ce qui est de la ville d’Abidjan, le nom viendrait des Bidjans qui étaient les premiers habitants d’Abidjan. Une autre source indique que le nom viendrait d’une phrase en langue atchan (ébrié) qui signifie “je cueille des feuilles”. Ce serait la déformation de cette phrase dans la bouche des colons qui a donné Abidjan.