LE CINÉMA AFRICAIN VA-T-IL ENFIN (RE)NAÎTRE ?

Par Patrick Nelle / Photos DR

Ces quarante dernières années, le cinéma africain a dû faire face à la faiblesse des investissements dans la production, et la disparition des salles de cinéma. Les années 2010 ont été marquées par un retour des salles de cinéma, l’essor de la télévision satellitaire, et surtout l’arrivée des plateformes internet. L’avenir si ce nouveau virage rendra possible l’éclosion d’une industrie cinématographique prospère sur le continent.

EXTINCTION ET RENAISSANCE DES SALLES DE CINEMA
Malgré de grandes promesses et de réels espoirs, l’industrie cinématographique africaine ne parvient toujours pas à décoller. Parmi les 53 pays que compte le continent africain, aucun d’eux n’a véritablement bâti une industrie cinématographique proprement organisée et structurée, de façon à faire vivre toute une filière, de la production en amont jusqu’au consommateur final. L’activité reste éclatée, faiblement organisée et survit dans un environnement pour le moins anarchique où chacun avec ses propres moyens tente tant bien que mal de tirer son épingle du jeu.
Le cinéma africain souffre en premier lieu de grandes faiblesses structurelles voire infrastructurelles. En matière de salles de cinéma, le continent reste une sorte de désert. La période 1980-2000 restera marquée dans l’histoire culturelle africaine comme celle de la quasi extinction de ce que le continent pouvait en matière de salles de cinéma, un phénomène entamé qui s’est encore plus accentué dans ce qu’il est convenu d’appeler l’Afrique sub-saharienne francophone. L’existence d’un réseau de salles de cinéma est pourtant l’une des conditions nécessaires à l’épanouissement d’une industrie cinématographique. Les salles de cinéma constituent le lieu où le producteur commercialise son œuvre auprès du public et réalise les recettes indispensables à la pérennité de toute cette filière. Le cinéma américain que l’on aime prendre comme un exemple de réussite doit son incroyable prospérité en grande partie au deuxième plus grand réseau de salles de cinéma du monde, soit plus de 40 000 écrans répartis à travers l’ensemble du pays. En Chine, dont le cinéma est monté en flèche ces dernières années au point de supplanter Hollywood au rang de première industrie cinématographique de la planète, les producteurs de films peuvent tabler sur un puissant réseau de 80000 salles. En France, les salles de cinéma ont attiré plus de deux cent millions de personnes en 2019, générant un chiffre d’affaire de 1,44 milliard d’euros.
Il aura fallu attendre jusqu’en 2011 pour assister à des réouvertures de salles dans plusieurs villes d’Afrique subsaharienne. En 2011, le cinéma Le Normandie, fermé à cause de la guerre dans les années 1980 a rouvert ses portes à Ndjamena, devenant alors la seule salle de cinéma opérationnelle de toute l’Afrique centrale, un privilège perdu en 2016 suite au le lancement de MTN Movies House à Brazzaville. Alors que le nombre de salles de cinéma n’atteignait pas une dizaine dans toute l’Afrique francophone en 2010, on en dénombrait plus d’une cinquantaine aujourd’hui.
Dans les années 1960 Bamako comptait 15 salles de cinéma. Dans les années 2010, il n’existait plus qu’une seule salle dans la capitale malienne. Abidjan, dépourvu de salle de cinéma depuis 2000, a pu renouer avec les cinéphiles 2015, grâce à l’ouverture du Majestic Ivoire.
Des groupes étrangers sont entrés dans la danse, notamment Bolloré et Pathé-Gaumont, qui sont engagés dans un processus d’extension de leur réseau de salles à travers le continent.
Le retour des salles suscite de grands espoirs auprès des producteurs et des cinéastes, mais le mouvement reste encore faible. Même le Nigeria qui fait figure de géant cinématographique africain n’abrite que 147 salles de cinéma pour ses 200 millions d’habitants. L’Afrique du Sud dispose d’un réseau de 782 salles.

NUMÉRISATION ET STREAMING
En l’absence de salles de cinéma, les supports numériques étaient un moment perçus comme une bouée de sauvetage. Théoriquement, le numérique et ses nouveaux supports permettraient au producteur de l’œuvre de toucher directement un large public, et de contourner par la même occasion l’obstacle que représentait l’absence de salles de cinéma réservées à la diffusion des films.
Dans la pratique, ce rêve s’est vu brutalement balayé par l’éclosion du piratage. Le piratage des œuvres ne s’est jamais aussi bien porté en Afrique qu’avec l’existence des DVD, VCD et autres clés USB, des supports qui techniquement rendent possible une reproduction et la commercialisation des œuvres via des circuits et des acteurs qui échappent totalement aux producteurs et les privent des revenus attendus.
Mais la révolution numérique, c’est également l’internet et ses plateformes de diffusion (streaming). Lancée en 2016, la plateforme de vidéo à la demande (VOD) Afrostream se proposait de diffuser les productions locales auprès du public africain, mais l’aventure a dû s’arrêter en 2017, Afrostream déposant le bilan. Netflix, le géant américain de la VOD a lui aussi jeté son dévolu sur le continent, et s’attaque agressivement au marché africain.

CONTENU LOCAL
Dans un contexte de domination des productions étrangères, l’enjeu principal pour le cinéma africain reste bel et bien la production et la vente des œuvres africaines.
Si les salles de cinéma, les chaînes de télévision et les plateformes internet ne diffusent que des films étrangers, elles pourraient bien devenir le tombeau et non le berceau d’un nouvel âge pour le cinéma africain. Malgré cette domination des films américains, européens et asiatiques sur les supports de diffusion, le public africain garde l’envie de voir des films africains, des productions qui reflètent son identité, son vécu et son environnement. D’où le succès continental du cinéma nigérian et de certaines séries africaines ces 15 dernières années. Cette tendance a été bien perçue par les gros diffuseurs qui souhaitent désormais proposer plus de contenu local à leur audience.
Canal Plus a par exemple réorienté sa chaîne A+ vers des productions africaines francophones. La chaîne a produit Ma grande Famille, une adaptation de la série ivoirienne Ma Famille, qui abordait des thèmes de société et dont le succès a dépassé les frontières de la Côte d’Ivoire.
Dans une interview accordée à Jeune Afrique, Ben Adamosun le responsable de Netflix pour les programmes originaux en Afrique, se confiait sur les dispositions de Netflix à produire des contenus locaux très demandés par l’audience continentale : « Le contenu que nous avons produit ou acheté en Afrique est aussi diversifié que les habitants du continent. (…) Les séries originales Queen Sono et Blood & Water ainsi que des films comme Òlòtūre, Citation, The Royal Hibiscus Hotel, Serously Single, Mrs Right Guy, Santana, Merry Men 2: Another Mission, Sugar Rush et Baby Mamas ont figuré dans le Top 10 des contenus les plus populaires dans divers pays du monde en 2020 », révélait-il.
Toutefois, les opportunités que peuvent offrir les plateformes de streaming au cinéma africain souffrent encore de la faible distribution et de la cherté de l’internet haut-débit en Afrique. Cette situation ne serait d’ailleurs pas sans lien avec l’échec de la plateforme Afrostreaming en 2017. En effet l’essentiel des connexions internet en Afrique se fait via des smartphones, grâce à la 3G ou la 4G. Ces supports sont indiqués pour regarder des vidéos courtes, tandis que le visionnage de long métrage en streaming a besoin d’une grosse infrastructure de câbles de fibres optiques.
Aujourd’hui, le cinéma africain s’installe sur les plateformes de streaming, le Nigeria sort plus de 1700 films par an, soit plus de films que l’Inde, des productions africaines sont honorées dans des festivals internationaux, il y a donc des raisons d’espérer. Mais pour éclore véritablement, le cinéma africain doit encore remporter la bataille de la mise en place des infrastructures de diffusion et de production de contenus locaux, une bataille perdue d’avance tant que les pouvoirs publics n’y apporteront pas les appuis et les financements nécessaires.

Siège FESPACO Ouaga
Siège FESPACO Ouaga

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