EN AFRIQUE, LES CRÉATEURS DE JEU VIDÉO SE TROUVENT À UN TOURNANT

Pour la création de jeux vidéo en Afrique, les années 2010 ont été une décennie prolifique. Les développeurs ont puisé leur inspiration dans le patrimoine culturel africain, et l’expansion de la téléphonie mobile a servi d’accélérateur. Toutefois, cette jeune industrie devra surmonter des défis pour assurer sa survie sur le long terme.
Par Patrick Nelle

UNE DECENIE DECISIVE
Les années 2010 ont visiblement été une étape importante dans l’histoire de l’industrie africaine du jeu vidéo. Le répertoire des développeurs et la bibliothèque des créations n’a cessé de grandir en Afrique durant cette période, un phénomène qui s’est traduit par une véritable prolifération des studios dans toutes les régions du continent.
Fondé en 2009, le studio Letis Arts est connu pour ses jeux vidéo pour mobile, le studio est présent au Ghana en Afrique de l’Ouest, mais aussi au Kenya. Il est le créateur du jeu Ananse : The Origin.
Le Nigeria est l’un des plus grands viviers de la création en matière de jeux vidéo en Afrique. Au début des années 2010, l’industrie nigériane était essentiellement portée par Kuluya un développeur particulièrement prolifique avec un catalogue de plus d’une centaine de jeux à son actif. D’autres studios ont également pu émerger au Nigeria, notamment Gamesole et Maliyo.
Au Kenya, Black Division Games a fait la une en 2015 grâce à son jeu Nairobi X, téléchargé plus de 21000 fois en l’espace de deux mois.
Le Togo et le Bénin ne sont pas en reste. Au Togo, le studio Lim Pio a fait entrer son pays sur la liste des créateurs via son jeu The Boy in Savanah lancé en 2015. Son voisin béninois lui a emboîté le pas l’année suivante, en août 2016, avec la présentation des Aventures du roi Behanzin.
En Afrique centrale, en avril de la même année, c’est le studio Kiroo Games qui jetait les bases d’une industrie locale du jeu vidéo avec Aurion : L’Héritage des Kori-Odan.
L’Afrique du Sud a joué un rôle pionnier dans le développement du jeu vidéo en Afrique. C’est en 1994 qu’un studio y est créé pour la première fois. Établi à Johannesbourg, le développeur Celestial Games réussit à éditer et à commercialiser deux jeux pour PC, Toxic Bunny et The Tainted. Toxic Bunny, qui met en scène un lapin, sera un véritable succès pour le studio, avec 7000 exemplaires vendus en Afrique du Sud, et plus de 150 000 ventes à l’étranger. Malheureusement le studio se trouve confronté à des difficultés et doit cesser ses activités en 2001. Celestial Games effectuera cependant un come-back en 2010 avec une version HD de son premier succès, Toxic Bunny.
La liste ci-dessus est loin d’être exhaustive, et les années 2020 produiront sans doute des développements majeurs.

DES CREATIONS QUI S’INSPIRENT DE L’AFRIQUE
Pour donner un cachet authentique et original à leurs projets, les développeurs africains ont choisi de s’inspirer dans l’Histoire d’Afrique et de l’immense patrimoine culturel du continent. Un univers riche en contes, en légendes, en mythes et personnages tout aussi fantastiques les uns que les autres, une source d’inspiration quasiment intarissable.
Le jeu béninois Les Aventures du roi Behanzin met en scène un personnage historique. Le roi Béhanzin dernier souverain du royaume de Dahomey, qui a résisté à l’invasion des armées coloniales françaises au début du XXe siècle avant d’être capturé et déporté en 1894 dans l’île de la Martinique.
Autre exemple, le studio nigerian Maliyo Games, qui à travers Okada Ride, met en scène les moto-taxis qui envahissent les rues de Lagos, un phénomène typique et un aspect incontournable du quotidien des habitants des grandes villes d’Afrique subsaharienne.

LA TELEPHONIE MOBILE COMME ACCELERATEUR
L’essor de la téléphonie a été l’un des facteurs les plus favorables à l’industrie africaine du jeu vidéo. Et pour cause, la téléphonie mobile a connu une progression fulgurante en Afrique dans les années 2010. A la fin 2018, le continent dénombrait 459 millions d’abonnés, 20 millions de plus que l’année précédente. Parmi ces abonnés, 239 millions de personnes, soit 23% de la population africaine utilisaient l’internet mobile. Entre 2018 et 2025, le nombre d’Africains abonnés à un service de téléphonie mobile aura augmenté de 167 millions d’utilisateurs.
Si en Europe, et en Amérique du Nord et en Asie les joueurs utilisent surtout les consoles de jeu, le joueur africain quant à lui se sert de son téléphone mobile. C’est pourquoi les jeux africains existent quasiment tous sous la forme d’applications téléchargeables.

MANQUE DE FINANCEMENT ET DE PLATEFORMES DE PAIEMENT
Les créateurs africains doivent toutefois composer avec obstacles non négligeables : Le manque de financement est un handicap sérieux pour les développeurs de jeux vidéo en Afrique, et parvenir à ses fins demande beaucoup de passion et de patience. Que c soit les structures privées ou publiques, les investisseurs ne se bousculent pas pour accompagner l’aventure africaine du jeu vidéo. Kiroo Games a mis treize ans à développer son jeu Aurion, L’Héritage des Kori-Odan. Le studio a réussi à lever des fonds à travers des opérations laborieuses de crowdfunding et autres campagnes de souscritpion.
Autre problème, celui des paiements en lignes. Les jeux disponibles en ligne le sont à travers des plateformes comme App Store ou Google Play store, des plateformes qui s’appuient sur des mécanismes de paiement en ligne et requièrent l’utilisation d’une carte bancaire. Le hic c’est que seule une minorité d’Africains est propriétaire d’un compte en banque et est donc éligible à ce type d’opération. Du coup, même en disposant d’une communauté importante de joueurs, il demeure très difficile aux studios de développement d’engranger des recettes. Face à ce vide, les développeurs cherchent à mettre en place des modes de paiement alternatifs pour s’assurer des ressources financières et garantir leur viabilité, et c’est sans doute sur ce point que se joue une grande partie de l’avenir de l’industrie en Afrique.

Village androïd 2018

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