Ishola Akpo, le conteur d’images
Né en 1983 en Côte d’Ivoire, Ishola Akpo est un photographe et artiste multimédia originaire du Bénin. Travaillant entre l’Afrique et l’Europe, il expose aujourd’hui ses œuvres un peu partout dans le monde. Il nous explique son art.
Comment as-tu débuté dans la photographie et quel rapport entretiens-tu avec ce médium ?
La photographie est venue vers moi, suite à une formation technique et mon engouement pour le numérique. Je me définis comme un artiste visuel, j’utilise la photographie comme medium principal dans mon travail. La photographie me permet d’observer les choses avant de chercher à comprendre ou à réfléchir. C’est un moyen d’expérimentation, et il témoigne de mon regard particulier, un regard situé entre ma sensibilité d’artiste et la réalité du monde. Mon travail récent « Agbara women » interroge la notion de la mémoire et du patrimoine, comme potentiel et relate la complexité de l’histoire de ces reines africaines.
Tu présentes souvent des séries de portraits, comment travailles-tu ?
Je n’ai pas choisi de faire des portraits, mais je me rends compte que les portraits racontent des histoire avec plus d’efficacité et de sensibilité. En 2014, voyant le corps vieillissant de ma grand-mère, la thématique de la dot m’a intéressé. La mutation de cette pratique ancestrale, la réappropriation de la dot par les jeunes Africains et le changement social qui en découle m’ont interpellé. J’ai commencé par explorer les objets de la dot du mariage de ma grand-mère à travers ceux que j’avais trouvés dans la maison : cantine en bois fabriquée par son futur époux, pagnes, perles, bouteilles de gin, bassines, miroir etc. Ces objets, je les ai photographiés et ainsi est né la série « L’Essentiel est invisible pour les yeux ». Ces images révèlent l’angoisse de celle qui, avec l’âge, souhaite laisser une trace de son passage dans la mémoire familiale. Ces objets rouillés et usés qui avaient vieilli avec cette femme portent l’empreinte du temps. L’histoire personnelle de ma grand-mère c’est aussi l’histoire de millions de femmes africaines.
Peux-tu nous parler de la série « Trace d’une reine » ? Comment est-elle née ?
Avec mon projet « Agbara Women », j’avais décidé d’explorer les mémoires et l’héritage des reines africaines précoloniales oubliées, négligées ou même effacées telles que – Tassi Hangbé (Danxomè entre 1708 et 1711), Njinga (Angola, 1582-1663), la Linguère Wolof Ndaté Yalla Mbodj, (Sénégal, 1810-1860). Au cours de mes recherches j’ai constaté l’absence d’archives malgré l’importance et le réel poids politique de ces reines à la tête des différents royaumes du continent, c’est ainsi que j’ai commencé à fouiller et à collecter des informations qui m’ont amené à raconter la complexité de l’histoire de ces reines.
En tant qu’artiste, j’ai voulu explorer une nouvelle expérience dans ma pratique photographique parce que je ne veux pas me limiter à un medium. Dans ma série “Traces d’une reine” j’ai réalisé plusieurs collages de photographies et d’images d’archives, qui révèlent le pouvoir de ces reines en Afrique. J’ai opposé l’aiguille, matérialisant la résistance des reines, à la fragilité de leur pouvoir incarnée par le papier. Mais ce fil (rouge) exprime aussi le fil conducteur de l’histoire. je relie archives et perspectives contemporaines permettant ainsi de relier, de souder entre eux des éléments disparates pour créer une nouvelle Histoire. Sur certains de ces collages, j’ai délibérément substitué la tête des souverains par celle des reines, mettant ainsi en scène des archives à la gloire de ces dernières. Je propose une autre version de l’Histoire en réhabilitant ces femmes.
Qu’est ce qui te caractérise dans ton travail ?
Mon travail s’articule avant tout autour de la représentation du monde, mon vécu, mes expériences personnelles. En ce sens, mon expérience personnelle peut s’inscrire dans la multiplicité des expériences non visibles, sur la base d’une reconnaissance mutuelle de l’humain.
Y-a-t-il des photographes qui t’inspirent ou as-tu des modèles ?
Je suis sensible aux œuvres de Rotimi Fani-Kayodé, qui me ramène à cette réflexion sur les lignes de la fragilité du corps et les multiples questionnements de la complexité des identités d’aujourd’hui. J’aime beaucoup la démarche de JR par exemple sur les portraits autour du monde, Kehinde Wiley, Mary Sibdande…
Comment travailles-tu durant cette période de la pandémie ?
C’est compliqué mais ce sont des périodes d’introspection importantes pour moi ce sont aussi des périodes de production active.
Qu’est-ce que cette période t’a inspire?
Etant assigné à résidence en Afrique, ça été une grande expérience personnelle. Je me suis reconnecté avec la nature.