Körinn Pierre-Fanfan rêve en musique

Originaire de la Guadeloupe, Körinn Pierre-Fanfan est une artiste atypique et surprenante. Sa musique, à la fois moderne et inspirée par la tradition musicale de son île, ouverte sur le monde et marquée par ses expériences, est une bouffée d’oxygène dans le paysage musical français. Elle se vit comme une thérapie. Il suffit de se laisser guider par cette voix, singulière, pour se surprendre à Rêver, d’un ailleurs merveilleux. Rencontre. 

Couleur Café : Vous considérez-vous comme une artiste confidentielle ?

Körinn Pierre-Fanfan : On peut le dire comme ça, oui. J’aime bien la discrétion, parce que je n’ai pas forcément eu envie de faire ce métier d’auteur compositrice-interprète pour qu’on puisse me voir, je suis assez réservée. Chaque chanson que j’écris est un peu comme une confidence que j’offre aux autres. Donc, dans ce sens-là oui.

Couleur Café : Qu’est ce qui vous a poussé vers la musique et la chanson ?

Körinn Pierre-Fanfan : C’est la rencontre avec les autres, avec soi. Ma musique parle de la manière dont j’ai abordé certaines rencontres, je m’inspire beaucoup des histoires que je peux entendre des autres, aussi bien les bonnes que les mauvaises, ça fait aussi résonnance avec mon propre parcours et des endroits qui me parlent. 

CC : Enfant, avez-vous souvent rêvé devenir artiste ?

K P-F : C’était progressif : j’aimais écrire des poèmes, j’avais 10-11 ans, j’en étais fière, je les lisais à mes parents avec beaucoup d’enthousiasme. Il y avait déjà cette amour des rimes. Ensuite je me suis dit pourquoi ne pas ajouter un mélodie, c’était comme un jeu. Mes parents m’ont inscrite à une école de musique, et à force de chanter mes créations à mon entourage, j’ai été encouragée, on voulait que je devienne musicienne. J’étais à la fois timide et j’avais envie de partager ce que j’écrivais. Ça s’est affirmé des années plus tard lorsque j’ai commencé par faire des chœurs, à rencontrer d’autres artistes. J’aimais beaucoup chanter mais pas forcément en tant qu’interprète principale.

CC : En tant qu’autrice, vous avez effectivement une écriture très poétique et ça s’entend dans le titre rêvé de votre album, à ce propos à quoi rêvez-vous ?

K P-F : Rêver, c’est d’abord un terme qui me plaît parce qu’il ramène à une certaine légèreté et en même temps à la réalité. Rêver, tout le monde le fait ou pas, il y a des personnes qui ne rêvent pas, ou ne s’en souviennent pas. Il m’arrive de rêver, de m’en souvenir, parfois non, de les écrire. Le fait de rêver est très humain, ça me fait un effet de « vidange ». Il y a aussi des images dans les rêves, c’est à la fois mystérieux et très vivant, comme quelque chose dont on n’a pas forcément la maîtrise. On ne peut pas rêver si on n’est pas en vie et si on ne vit pas des choses dans la journée. Ce rapport m’intéresse. Le titre de l’album, Rêver, est un palindrome, c’est-à-dire un verbe qui peut se lire dans les deux sens. 

CC : L’album s’intitule Rêver, mais la chanson Rêvé ne s’écrit pas de la même façon, comment l’expliquez-vous ?

K P-F : Je l’ai décidé avec Rudy Boa le réalisateur de l’album, mais je ne me souviens plus pourquoi exactement nous avons décidé de modifier l’orthographe.

CC : On va parler de certains titres de vos chansons. On commence par Toro ?

K P-F : En lien avec le rêve il y a aussi le cauchemar, c’est une analogie entre certaines situations de couple qui peuvent être difficiles, courantes. On peut se retrouver avec des problématiques de violences conjugales, ce sont des thèmes très réalistes qui me tiennent aussi à cœur par rapport à la manière dont les victimes et les agresseurs peuvent se sortir de ces cercles infernaux. Toro est la manière d’illustrer cette situation. Il y a l’image du toréador et du taureau qui sait qu’il va mourir à la fin, qui est regardé par un public qui apprécie ce moment. C’est une analogie extrême, mais je voulais illustrer la situation dans laquelle se retrouvent les victimes, la plupart des cas les femmes. Il faut continuer à dénoncer ce phénomène et dire aussi qu’il est possible de s’en sortir.

CC : Vous êtes née en France hexagonale et vous êtes originaire de la Guadeloupe c’est bien ça ?

K P-F : Je suis née en France, ma mère qui est originaire de la Guadeloupe a suivi ses études en France où elle a rencontré mon père. Ensuite nous sommes repartis en Guadeloupe où j’ai été de la maternelle au lycée puis je suis revenue en France.

CC : Que vous évoque la Guadeloupe ?

K P-F : C’est ma terre natale, même si je n’y suis pas née, j’y ai vécu une grande partie de mon enfance et de mon adolescence. Il y a aussi des souvenirs d’enfance, de famille à la campagne, c’est aussi le retour à ma terre natale. La Guadeloupe est aussi un berceau de métissages. On a la chance de baigner dans une dimension multiculturelle, qui m’a permis d’avoir une ouverture. Le métissage s’exprime dans les langues, le créole en est l’illustration. C’est aussi la musique, les échanges. Avec du recul, le Guadeloupe, l’île papillon, est une île magnifique, un paysage très contrasté. Je conseille à ceux qui ne la connaissent pas d’y aller.

CC : Bien évidemment il y a aussi la flore, y a-t-il un lien avec le visuel de votre album ?

K P-F : Je ne savais pas trop comment aborder la séance photo et comme j’aime les fleurs, je m’en suis mis plein la tête, dans les cheveux, ensuite, le graphiste est parti de cet élément qu’il a développé. Il a fait ce lien entre la musique, la Guadeloupe et ses propres sentiments.

CC : On poursuit l’analyse de tes chansons avec L’Endépandans

K P-F : C’est une reprise d’une chanson de Gérard Lockel. C’était l’idée de Ruddy Boa, qui est aussi l’arrangeur de l’album. Il m’a proposé de reprendre ce titre, que j’ai mis du temps à assumer, parce qu’en général je ne chante que mes propres compositions. J’ai été impressionnée par l’ensemble de la chanson. Je ne m’étais jamais penchée sur une œuvre particulière de Gérard Lockel et lorsque je me suis retrouvée avec cette proposition, je me suis demandée comment je pouvais la reprendre de manière un peu décalée. C’est la seule reprise de l’album. C’est un texte très fort, indépendantiste. J’ai souhaité le reprendre dans le sens de l’investissement de l’individu dans la société en partant de soi, et comment on fait avec les moyens du bord pour vivre et avancer. Lorsque je le chante je l’habite dans cette dimension. Et lorsqu’on joue cette chanson en « live » on  commence par « Guadeloupéens, Guadeloupéennes… ». C’est comme un appel. Je m’adresse à tout individu qui entend et qui pourrait s’en saisir comme moyen de se questionner, de s’investir, en termes de libération de ses enfermements. Il y a des références à l’esclavage, à des questions sociales, historiques très connues en Guadeloupe. 

CC : Il y a aussi cette chanson, qui est la plus longue, Pacotilles

K P-F : Nous nous sommes demandés s’il fallait faire un format radio ou pas, puis nous avons décidé de la laisser telle quelle. Il y a tout un développement auquel on tenait. Le message passe avec cette durée-là. Cette chanson parle du malaise qui est indicible. 

CC : Vous travaillez avec Ruddy Boa depuis Traversée, votre premier album, est-il facile de se renouveler dans ces conditions ?

K P-F : Suite au premier album, je ne savais pas si je voulais enregistrer Rêver. Il y a certains titres qu’on jouait déjà en « live », puis on s’est dit pourquoi ne pas les inscrire dans un support pour faire une continuité. Il se trouvait que Ruddy avait déjà arrangé certains morceaux, il suffisait juste de les enregistrer. Mais évident qu’il en soit l’arrangeur. Je le lui ai demandé, il a accepté. Il a la facilité de saisir le climat de l’ambiance que je souhaitais avoir sur chaque titre. Ça s’est joué comme ça. 

Nouvel album, sortie le 17 novembre 2023

Körinn Pierre-Fanfan, Rêver, Rozo Production, 2023 

Surprenant, entrainant, ce nouvel opus de Körinn Pierre-Fanfan est une palette de couleurs. Entourée d’une équipe de musiciens chevronnés, Ruddy Boa au piano et arrangements, Arnaud Dolmen à la batterie, Kristof Négrit à la batterie, Michel Alibo à la contrebasse, Zacharie Abraham à la contrebasse et Jean-Christophe Raufaste à la basse, la chanteuse dénonce la violence faite aux femmes, toute forme de domination de l’individu sur ses semblables. Elle chante aussi la vie, l’amour. 

En concert à la Petite Halle à Paris La Villette le 22 novembre 2023 

Körinn Pierre-Fanfan

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