LE PIANO SOLO DE GRÉGORY PRIVAT

Grégory Privat est un pianiste attachant. Par sa personnalité, son jeu, son discours, sa vision du monde. Sur Yonn, son premier album enregistré à Cologne et produit sur son propre label, il apparaît seul et il chante. On prend une bonne bouffée d’air, on respire, on entre dans son monde et on expire. Rencontre.

Ton nouvel album s’intitule Yonn, qui signifie 1. Y-a-t-il une autre signification ?

Ça symbolise le fait que ce soit tout simplement mon premier album solo dans lequel je joue tout seul. Il y a aussi l’idée de rassemblement, que quelque part nous faisons 1.

C’est aussi un album à travers lequel on entend ta voix, tu chantes

J’ai commencé à chanter sur 2 titres dans l’album soley, sorti en 2020. Je l’avais déjà naturellement en moi et que j’ai eu envie d’exprimer ce potentiel encore plus dans ce nouvel album. C’est une expansion de ma musicalité, c’est une palette supplémentaire. Je fredonnais sur une chanson qui s’appelle Las, puis je me suis rendu compte que c’était une vraie chanson, à laquelle j’ai rajouté des paroles par la suite. A partir de là, je me suis rendu compte que je pouvais faire des chansons et c’est ce que j’ai fait pour Yonn.

Tu es l’auteur-compositeur et réalisateur de ton album, comment as-tu travaillé ?

Je n’ai jamais fait appel à des directeurs artistiques sur mes albums. Souvent j’ai une idée précise de ce que je veux entendre, et avant de passer en studio, je m’enregistre. Le fait de composer, d’écrire des textes, de chanter ne m’empêche pas d’avoir assez de recul pour aboutir sur un morceau fini.

Comment ça se passe en studio pour un morceau chanté. Tu enregistres tout en même temps ?

Pour l’enregistrement en studio, il y a des chœurs que j’enregistre avant, mais en général je joue et je chante en même temps. En ce qui concerne le « live », je créé l’univers musical en même temps que je joue. Je n’ai pas envie d’avoir des sons préenregistrés, je veux garder ce côté improvisation, que chaque concert soit différent, que les idées de « loop » changent en fonction de l’harmonie, il faut que je me sente bien sur scène.

Comment as-tu réussi à trouver l’équilibre entre les musiques chantées et les chansons instrumentales ?

Il y a des choses qui viennent naturellement. Pour prendre l’exemple du titre Tonalité, c’est un morceau qui au départ n’avait pas de parole. J’ai commencé à jouer et à fredonner la mélodie, puis tout s’est fait naturellement. À un moment donné, il y a des morceaux qui sortent du lot, qui donnent plus de plaisir lorsqu’on chante.

A quel moment tu t’es dit qu’il fallait que cet album sorte ?

C’est une question de chronologie, je n’ai pas eu l’opportunité de le faire avant Soley, j’avais déjà commencé à composer des titres, j’ai continué à le faire notamment pendant la période de confinement, c’était mon prochain objectif. C’était dans ma tête bien avant 2018.

Y-a-t-il une différence de concentration lorsque tu joues seul ou lorsque tu es accompagné d’autres musiciens ?

Oui. C’est très différent, on est souvent tout seul. Dans la loge on est tout seul. Ce n’est pas plus mal, il y a plus d’exigence dans la concentration. Je fais de la méditation, ça calme l’esprit pour aller à l’essentiel. Ma musique a un côté spirituel.

Est-ce que tu es un solitaire ?

J’ai toujours été un peu solitaire. Lorsqu’on est musicien, on passe beaucoup de temps à travailler un instrument au point d’oublier le côté social. Lorsque j’étais plus jeune, j’étais un peu sauvage, très timide. D’un autre côté, la musique m’a aussi permis de m’ouvrir aux autres. 

Lorsqu’on te voit sur scène on se rend compte que tu as une relation spéciale avec ton piano, il y a une sorte d’intimité.

Il y a des choses qu’on ne maîtrise pas, il y a des choses qui viennent naturellement, je me laisse emporter par la musique.

Est-ce qu’il y a une histoire autour de cet album ?

C’est certainement l’album le plus personnel que j’ai fait. Il y a des références à la méditations, à ma famille, le titre song for jojo est dédié à un oncle que j’ai perdu, Georges. C’est un album qui parle d’amour et de séparation, il est vraiment très personnel.

Il y a une chanson intitulé l’horloge créole, peux-tu m’en dire plus ?

C’est le titre le plus technique à jouer de l’album, il y a un tempo très rapide. C’est un pied de nez aux clichés du genre les créoles sont lents. À l’échelle de l’humanité ces îles n’ont pas plus de 400 ans d’histoire, et paradoxalement, la population essaie d’entrer dans l’histoire, à travers ses personnalités, ses artistes, ses écrivains, en accélérant le temps.

L’album commence par un titre qui s’intitule Respire et se termine par Expire

J’avais envie que l’auditeur reste dans sa bulle du début à la fin à l’écoute l’album. Si on l’analyse du point de vue technique musicale, Expire c’est le morceau Respire, joué à l’envers avec des sons de la Martinique, la voix de mes parents, l’horloge de la maison familiale de mon grand-père. C’est comme si les deux morceaux étaient compressés entre une inspiration et une respiration. Beaucoup de choses peuvent se passer dans un très court laps de temps.

Tu as créé ton propre label, pourquoi ?

Je me suis lancé suite au fait que ça ne fonctionnait plus avec le label allemand ACT. Lorsque j’ai commencé à enregistrer la musique de Soley, en 2019, je n’arrivais pas à me mettre d’accord avec la vision du dirigeant du label. Je n’avais pas non plus envie de proposer ma musique à un label et essayer de le séduire, pour un artiste c’est fatigant. Je me suis dit que c’était peut-être le bon moment de créer mon label et d’être indépendant. L’économie a changé pour la musique, les CDs ne se vendent plus, on ne perd pas forcément en étant indépendant parce qu’on peut faire beaucoup de choses tout seul finalement, et peut-être mieux parce qu’on est investi. C’est aussi un label que j’utilise uniquement pour mes propres projets. 

Nouvel album : Yonn, 2022

En concert le 30 mars au Bal Blomet, 33 rue Blomet Paris XV 

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