L’INSTINCT CRÉATIF D’EMMANUELLE SOUNDJATA
Par Samuel Nja Kwa / Photos : Morgan Appin, Éric charpentier, Sergio
Emmanuelle Soundjata est une créatrice et styliste instinctive. Suite à une licence master 1 en droit pénal et divers voyages en Afrique, elle développe sa passion pour la culture ethnique, le Maré tèt. Elle met en place des ateliers autour de l’art du turban à Paris, dans le XVIIIe arrondissement. Installée en Martinique, elle se fie encore une fois à son instinct et lance le concept de Maré tèt tout en renouvelant l’idée des ateliers sur place, en 2012. Elle est aujourd’hui une entrepreneuse accomplie.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le Maré Tèt ?
L’art du Maré tèt est un savoir-faire qui trouve son origine dans la Caraïbe. Il consiste à envelopper les cheveux d’un tissu appelé à l’époque le tignon. La technique de nouages, plis, torsades, sans intervention d’épingles, est utilisée dans le but d’obtenir une coiffe éphémère.
L’appellation Maré tèt n’est pas un terme que l’on retrouve dans les livres d’Histoire où il était plutôt question du Tignon (emprunté à la loi Tignon 1785).
Le Tèt Maré désigne la coiffe créole traditionnelle qui est indissociable du costume créole. Semblable au chapeau, elle est posée sur la tête, contrairement au Tignon qui consiste à enveloppement des cheveux avec un tissu. Celui-ci a donné, à l’époque, naissance à un véritable langage codé sur les disponibilités sentimentales des femmes :
–Tèt Maré 1 bout (je suis célibataire)
_ Tèt Maré 2 bouts (je suis un cœur à prendre)
_ Tèt Maré 3 bouts (je suis mariée)
Le Maré tèt a trouvé ses lettres de noblesse et la reconnaissance grâce au concept Atelier Maré tèt. Le fait de nommer ce savoir-faire et de le conceptualiser lui a donné une dimension et une reconnaissance internationales sur le plan artistique. Aujourd’hui, ce travail de valorisation que j ‘ai mené durant toutes ces années permet de l’inscrire dans le patrimoine culturel et touristique de la Martinique.
Vous en avez fait un accessoire de mode, comment y êtes-vous parvenue ?
Effectivement, aujourd’hui le Maré tèt est un accessoire de mode à part entière. J’ai réussi ce challenge en travaillant sur des designs modernes, originaux et faciles à associer au pantalon jean, ou à une robe classique. L’objectif est de faire porter le Maré tèt par toutes les femmes, quelque soit leur appartenance religieuse, leur catégorie sociale, leur couleur de peau et leur origine.
Il est important de tenir compte du design, de l’allure et de la forme du Maré tèt. J’ai inventé le modèle Fleur, qui est devenu ma signature, apprécié par toutes les femmes. Il est le symbole de la féminité et convient à tous les types de femmes. Mon travail consiste aussi à diffuser mes créations sur la toile afin de les faire connaître partout de par le monde. J’ai été invitée à Tokyo pour y faire des ateliers, des conférences et des démonstrations Maré tèt.
Vous dites ne jamais faire de croquis, expliquez-nous justement comment vous travaillez ?
Il est vrai que je n’en fais jamais. Il s’agit d’un art instinctif et intuitif. Je ressens les couleurs, les formes en voyant le modèle, les énergies de manière générale et ensuite tout se met en place comme dans un puzzle. Je procède comme un peintre, il s’agit pour moi de créer un tableau en faisant appel à mes sens.
Dans la continuité des Maré tèt, j’ai créé un concept de vêtements éphémères consistant à utiliser uniquement des tissus liés entre eux par des nœuds de façon à ce que ce soit le vêtement qui s’adapte au corps et non l’inverse. J’ai ressenti ce besoin de créer des vêtements éphémères lorsqu’en élaborant mes Maré tèt, je me suis rendu compte que je n’avais pas de vêtements qui pouvaient s’associer à ces derniers.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Dans mon environnement. Flâner dans les boutiques de tissus est aussi très nourrissant en termes de créativité, les couleurs et textures, il y a toujours de nouvelles idées qui émergent, et les voyages, bien entendu.
On distingue plusieurs styles de Maré Tèt, pouvez-vous les énumérer et les expliquer ?
Il est important de distinguer la coiffe créole (Tèt Maré) de l ‘Art du Maré tèt.
La coiffe créole traditionnelle donne naissance à un langage, dont j’ai parlé plus haut (Cf 1ère question), dans les années 1800. En ce qui concerne l’Art du Maré tèt, deux modèles ont marqué leur époque : La bamboche et la coiffe pain de sucre. Ces modèles étaient portés par les femmes noires libres, qui n’étaient pas des esclaves, à la différence des esclaves qui s’attachaient les cheveux pour se protéger du soleil. Ces femmes noires libres à l’époque coloniale, ainsi que les femmes affranchies, quarteronnes, mulâtresses, se sont vues imposer une série de lois discriminatoires concernant leur façon de s’habiller : Elles avaient aussi l’obligation de couvrir leur cheveux car leur coiffure sur cheveux afro attirait l’attention de la classe dirigeante masculine de l’époque. Ces femmes noires libres étaient pour la plupart des courtisanes, donc source de litige.
C’est ainsi que le gouverneur de l’époque, Rodriguez Esteban, a mis en place en 1785, la loi Tignon qui imposait aux femmes noires libres l’obligation de se couvrir les cheveux. Ces dernières, pour défier l’ordre établi sans être hors la Loi, ont décidé d’en faire un art. Cette contrainte légale, qui avait pour seul but de faire qu’elles portent le moins possible une attention particulière à leur beauté, a été contournée grâce à leur créativité et ingéniosité. C’est ainsi qu’elles ont créé des modèles de Tignon (nom donné à l’époque à cette pratique) plus volumineux, plus extravagants et colorés quand elles en avaient les moyen.
Autrement dit, à travers cette résistance intelligente, il s’agissait du combat des femmes pour leur droit à la liberté et celui d’exister.
Y a-t-il un rapport avec votre intérêt pour l’Afrique ?
J’ai beaucoup voyagé sur le continent africain, Sénégal, Burkina Faso, Mali. Je suis Afro caribéenne, l’Afrique est en moi, ainsi que la Caraïbe, qui est une zone géographique très métissée. L’Afrique est le cœur de la Caraïbes, le Maré tèt, le symbole de la reconnaissance de notre africanité. C’est le condensé de toutes les cultures qui composent notre identité martiniquaise.
Vous proposez aussi des ateliers de créations pour celles ou ceux qui veulent apprendre, comment cela se passe-t-il ?
Les ateliers Maré tèt ont lieu tous les samedis du mois sauf exception. Il y a trois types d’ateliers Maré tèt.
L’atelier Maré tèt classique (turban uni)
L’atelier Maré tèt madras moderne
L’atelier Maré tèt wax
Les prix sont abordables, on apprend de vraies techniques de nouages. Ils sont accessibles à tous et à toutes à partir de l’âge de 10 ans jusqu’à 80 ans.
Les inscriptions se font sur : ateliermaretet@hotmail.com. Les ateliers Maré tèt ont lieu généralement à fort de France au centre-ville. Je me déplace également à Domicile pour des événements spéciaux.
Pouvez-vous nous en dire plus sur vos autres activités ? Vous gérez un concept store, qu’est-ce qu’on y trouve ?
Depuis 2012, j’ai ouvert un concept store multi ethnik de jeunes créateurs africains et caribéens. C’est un appart Boutik en plein centre-ville à fort de France en face du grand marché couvert au 3ème étage de l’immeuble Osiris. J’y organise également des ateliers beauté, estime de soi, des rencontres créateurs. C’est un lieu très agréable, chaleureux et original.