SIÂN POTTOK, Femme du Monde
Véritable femme du monde, Siân Pottok (prononcer Shan) est le lien entre l’Afrique, l’Inde, l’Europe et l’Amérique. Née en Floride, de parents originaires de l’Inde, du Congo, de la Slovaquie et de la Belgique, elle a élu domicile en France où elle développe son art. Sa musique est à son image, colorée, métissée, douce et captivante. Rencontre.
Couleur Café : Pourquoi fais-tu de la musique ?
Siân Pottok : Pour évacuer, c’est naturel pour moi, je ne me suis jamais posée cette question. Je pense que c’est une vraie thérapie, je sens que j’en ai besoin. Dès que je « ponds » un morceau c’est comme s’il y avait une boule de choses qui fallait sortir.
Je me rends compte que c’est une des raisons pour laquelle la musique est indispensable dans ma vie. Avant je composais une chanson tous les jours. Avec le temps, surtout lorsque je suis devenue maman, c’est moins récurrent, on a moins le temps.
Couleur Café : J’ai trouvé que cet album en particulier était beaucoup plus cohérent et qu’il te « collait à la peau ».
Siân Pottok : Oui, j’ai pris le temps de le faire. J’ai mis 3 ans pour le finir. Pendant la période du Covid-19, j’ai croisé la route du kaméléngoni, qui a été une grande révélation pour moi ; cet instrument de musique m’a redonné envie d’écrire et de faire pleins d’autres choses. Oui cet album « me colle beaucoup plus à la peau ».
Couleur Café : Tu as appris à jouer avec le musicien malien Abou Diarra pendant combien de temps ?
Siân Pottok : J’ai été bercé par la musique africaine, ma mère en écoutait beaucoup, j’ai aussi écouté plusieurs albums dont le Chamber Music de Ballaké Sissokho. Du coup le son de la kora était imprégné en moi d’une certaine façon. Pendant le Covid, à un moment je voulais apprendre à jouer de la Kora et j’ai cherché un luthier à Paris. Et c’est un ami qui m’a mis en relation avec Abou Diarra. Ce dernier m’a montré son instrument, le Kamale N’goni, ça a été une grosse révélation car il y a à la fois le côté très percussif et rythmique, et un côté harmonique, ce qui correspond totalement à ce que j’aime dans la musique.
Ça fait 3 ans que j’en fais avec Abou Diarra qui est devenu mon maître, il m’enseigne le répertoire traditionnel, nous essayons de se voir le plus possible et d’avoir une régularité. En parallèle je compose avec cet instrument ; je m’approprie le jeu à ma façon.
Bien avant je jouais de la guitare, j’ai reporté le jeu de la guitare sur le N’goni et j’y intègre mon jeu, qui est un peu plus folk.
Couleur Café : Connais-tu l’histoire d’Abou Diarra ? Comment il a appris lui aussi à jouer de cet instrument ?
Siân Pottok : Il a été un peu pudique sur son histoire. Il m’a raconté qu’il avait marché pendant des heures, des jours, des mois sur la route qu’il était seul, à la rencontre de l’instrument. Au début, il a appris seul à jouer puis après il était avec son maître qui était très dur avec lui, très exigeant.
J’aimerais partir au Malí avec lui et m’immerger dans la culture, recevoir, travailler non-stop jusqu’à que ça fasse mal aux doigts. Je me dis que c’est vraiment lorsqu’on s’immerge pendant de longues heures que l’on peut ressentir réellement la musique.
Couleur Café : À partir de quel moment tu t’es sentie prête à en jouer, à assumer le kamélé ngoni ?
Siân Pottok : Il y a eu deux moments assez forts : Lorsque Abou Abou Diarra m’a dit « fonce !» ; Puis il y a eu ce concert au New Morning où j’ai fait la première partie du guitariste guinéen Moh Kouyaté. Je ne m’étais même pas rendu compte que la moitié de la salle était un public d’Afrique de l’Ouest ; heureusement que je m’en suis aperçue seulement après : Toutes ces personnes sont venues me voir après en me complimentant. Le fait d’avoir le regard de ces personnes m’a donnée la force de continuer.
C. C. : C’est d’abord un instrument de musique même s’il appartient à une région, pour toi c’est d’abord un instrument à travers lequel tu as choisi de t’exprimer.
S. P. : Au début, j’assumais moins mais aujourd’hui, je l’assume et c’est une connexion qui est très forte, je me sens très libre avec le Kamale N’goni : il n’y a plus de frontières et je me sens entière.
C. C. : Ton nouvel album s’intitule Deep Waters, pourquoi ce titre ?
S. P. : Cet album est une grosse introspection, trois années de questionnement sur qui je suis ? Où j’en suis ? Où je vais ? Pourquoi ? Ça a été une thérapie, il a fallu que j’évacue toutes ces questions par le biais de la musique pour être de plus en plus en accord avec moi-même et m’accepter. Deep Waters c’est une chanson qui parle de la société, comment on évolue ? Tous les réseaux sociaux, les écrans, les manipulations des politiques …
Pendant la période du Covid-19 j’allais beaucoup à la piscine, quand on est sous l’eau et qu’on se recentre sur toi, on sent son cœur battre. Il y a cette sensation d’apaisement comme lorsqu’on est dans le ventre de sa mère.
C’est une chanson qui parle de l’envie de replonger dans les eaux profondes pour couper avec le chaos qui se passe sur la surface de la terre, qui est difficile à gérer pour moi. Il y a d’autres chansons, notamment celle qui parle du fait de danser, d’évacuer ses problèmes par la danse, la maternité, il y a pleins d’autres sujets.
C. C. : J’ai bien aimé la chanson en français Mon corps, où tu t’assumes complètement telle que tu es, ce que tu as envie de changer, les jeux de mots.
S. P. : J’en ai fait la musique et c’est Bruno Guglielmi qui est l’auteur. Il travaille beaucoup pour des artistes de la variété française et il m’a écrit ce texte que j’ai trouvé magnifique, c’est une adaptation d’un titre que j’avais écrit en anglais.
C.C. : Tu écris souvent en anglais ?
S. P. : J’écris seulement anglais. J’ai écrit ma première chanson en français dans cet album. Il y a ce titre-là ensuite j’ai fait une autre chanson qui est à 80% en anglais et j’ai rajouté un couplet en français. Au fil du temps, je me sens de plus en plus à l’aise avec le français. Récemment j’ai écrit une chanson en hommage au Congo en français, donc ça évolue.
C.C : Dans ton album, on y entend des sons, un peu plus saturés, électro
S. P. : Je l’ai concu dans un autre contexte que la musique traditionnelle d’Afrique de l’Ouest, je l’imaginais avec des sons électro, avec des cuivres, j’avais vraiment un son en tête.
J’ai aussi travaillé avec Cyril Atef, d’abord sur quelques chansons où il plaçait des rythmiques et ça emmenait mes compositions dans des directions auxquelles je n’avais pas pensé. C’était intéressant et ensuite avec Valentin on a peaufiné en y ajoutant la touche électro, un quintette de cuivre classique. Le rendu est un mélange un hybride.
C.C : Concernant tes chansons, les as-tu toutes composées en France où ailleurs ?
S.P. : Il y a une de mes chansons qui a 20 ans, nous l’avons revisitée. Les autres ont été composées pendant le Covid-19, en France.
En concert au Café de la Danse à Paris le 30 janvier 2025
