Souleymane Cissé, une vie de cinéma
Mercredi 17 mai, le réalisateur malien arpente le tapis rouge de la 76e édition du Festival de Cannes avec son équipe et quelques membres de sa famille. Il est le lauréat du Carrosse d’or célébrant sa carrière, décerné par la société des réalisatrices et réalisateurs de films. L’auteur de Yeelen recevait déjà à la quinzaine des réalisateurs en 1987 le prix du jury pour le film susnommé. A 82 ans, l’exceptionnelle œuvre de Souleymane Cissé brille au firmament, l’émotion en prime, un moment inédit de sa vie. Couleur café lui a rendu visite à Bamako.
A travers Waati -le temps-, Souleymane Cissé alias Boua, riche d’une carrière en constante fulgurance, c’est également l’histoire d’un Carrosse d’Or qui vient consacrer l’ensemble de son œuvre. Après Sembène Ousmane en 2005, Souleymane Cissé est le deuxième africain à recevoir le sésame.
Au pas de sa résidence dans le quartier résidentiel de la Cité du Niger, le borom caméra du cinéma malien a érigé au cœur de sa villa musée deux statues à l’honneur de ses parents, Tenin Dramé, sa mère et son père, Bayousou Cissé. Pour atteindre le patio à l’étage on traverse une galerie remplie de photos. En lumière (Yeelen) Souleymane Cissé dédié dans l’esthétique d’une Afrique authentique dont la poétique réside dans la singularité des thématiques traitées. L’œuvre de Cissé compte deux prix internationaux, 16 nominations pour un riche palmarès à faire pâlir.
Son homonyme que le cinéaste lui-même appelle Bâ Solo, nous sert de l’eau selon la tradition malienne, une bouteille d’eau avec un verre, chez Solo (pour ses intimes), les visiteurs partagent le gobelet. Tout un symbole.
Une œuvre au nom de la femme et de la mère
Comme l’eau retourne toujours à la source, le pionnier du cinéma africain, non moins avant-gardiste, exprime son attachement profond à ses racines africaines aux prises des grandes mutations dans lesquelles se jouent les destins d’hommes et de femmes devant trouver leur place dans un monde en mouvement. Au détour de sa galerie le long des escaliers, il nous présente sa première épouse Dounamba Dany Coulibaly en ces termes : “Voilà la mère de Fatou”, sa fille réalisatrice et auteure du Film Boua, l’émotion s’entend, on égraine le temps de ces années marquantes de sa vie. L’œuvre de Souleymane c’est la fille et la femme. Den Muso, son premier long métrage réalisé en 1975, une mise en perspective de sa trajectoire d’être père et du choix de n’en décider qu’après avoir réalisé son premier film, au croisement du drame que vit son héroïne Tenin (incarnée par Dounamba), violée et mis enceinte par Sékou. Ce premier film découvre les fils d’un monde qui change. Dans la poétique de Den Muso, c’est la fiction qui croise le réel, l’histoire s’est produite dans l’environnement proche du réalisateur. Ce film lui fait encore pétiller les yeux lorsqu’il en parle, avec sensibilité. Souleymane porte au cinéma des actrices à l’heure du temps et fières d’incarner leur époque. Den Muso plus qu’une ode à la protection de la jeune fille, est avant tout le moyen de porter à l’écran les dérives autoritaires dont les premières victimes sont les jeunes, en charge de porter l’espoir, le bourreau devenant victime de son propre fonctionnement. Si Sékou n’avait pas perdu son boulot, il n’aurait pas nourri un tel stratagème, jusqu’au crime, le viol. Ces égéries : Dounamba Dany Coulibaly, Fanta Diabaté, Fanta Keita et Oumou Diarra naviguent d’un plateau à l’autre des films Cissé sur une musique quasi parfaite, de célébration de l’élégance de la sahélienne.
Un cinéma intemporel et universel
Baara, Grand prix Etalon de Yennenga en 1979 et Finyè un duo intemporel, témoin majeur du Mali d’hier et d’aujourd’hui. Dans ses deuxième et troisième films, Souleymane fait une esquisse de l’intégration de la classe ouvrière en formation dans la nouvelle dynamique de développement du pays en 1978. Pour compléter le tableau, Finyè sur fond de lutte de classes annoncera les futures révoltes qui finiront par sceller la digue de la dictature. Ainsi Baara et Finyè présageaient déjà la chute du dictateur Moussa Traoré. A l’instar de la nouvelle vague française les scènes de nu sont assumées, les ralentis de caméra sur le corps féminin beau et épanoui, une esthétique du corps à célébrer, marqueur de l’évolution des mondes, l’urbaine, belle et consciente de ses atouts, toile réaliste d’un monde en mutation. Ce contraste d’un espace urbain où se côtoient nouveaux riches (administrateurs corrompus, commerçants) et pauvres employés épingle les deux films. Plus de 40 ans après les thématiques du chômage, de la corruption, de la lutte des classes, dominent le champ social. Yeleen, prix du Jury ex aequo en 1987, dans un registre carrément onirique, rompt avec ses premiers thèmes et se tourne vers un récit initiatique portant à l’écran le poids de la transmission. Toutefois, un thème demeure, la modernité versus tradition. Philosophique à ce stade de sa carrière, son cinéma ne se veut pas, il l’est, il transcende ainsi les questions politiques liées à la fille et la femme, la dictature pour nous atterrir dans Waati zénith d’un palmarès vers l’apothéose où des nouvelles ambitions sont affichées, le cinéma malien s’internationalise.
Un regret, la disparition des salles de cinémas de son enfance
Natif de Bozola, un des premiers quartiers de Bamako, Souleymane Cissé a grandi avec les salles de cinéma. A 82 ans, une pointe d’amertume se lit dans sa pensée quand il exprime son désarroi face aux salles de cinéma fermées du Mali depuis quelques années, avec nostalgie il confesse l’embarras du choix des salles à travers la capitale malienne à son temps de jeunesse. Du haut de son âge, il ne peut comprendre qu’un aussi grand pays de cinéma ait un déficit d’infrastructure pour magnifier le septième art.
Une tendre pensée à Sembène Ousmane
Il ne pouvait que penser à lui pendant la réception de son prix, l’auteur d’Oka exalte sa gratitude à son aîné qui lui a tant donné. Il tient à rendre hommage à Sembène Ousmane pendant la cérémonie ainsi qu’à toutes les personnes ayant fait preuve de générosité pendant sa construction cinématographique, surtout les techniciens maliens qui ont donné leur vie pour la réalisation de ses films, comme Balla Moussa Keita, Soumaïla Sarr. Des personnes qui ont, non seulement aimé leur métier, mais surtout, qui ont dû affronter pour certains le licenciement pour continuer à faire du cinéma. Le cinéma est une vie de sacrifice et qui mieux que Souleymane Cissé au milieu de ses centaines de milliers d’archives pour en parler. Plus qu’un hommage, ce majestueux prix porte, selon le réalisateur, un vent nouveau pour le cinéma et la jeunesse d’Afrique : « Le carrosse d’or pour moi est un signe de l’espoir. Il a été la grande surprise dont je ne m’attendais pas, au-delà de tout, c’est une reconnaissance de la part de ma profession. Ce prix donne raison à mes parents qui m’ont soutenu, c’est pourquoi je leur ai dédié chez moi ces deux monuments dans le jardin. »
Dia Sako
Responsable Afrique Couleur Café