Un festival de littératures africaines ambitieux à Nantes
Depuis 2016, la Camerounaise Ide Rosine Deumaga a lancé avec quelques ami.es un festival de littératures africaines à Nantes dont elle est la directrice. Un festival ambitieux qui rassemble chaque année des auteur.es de la diaspora africaine et d’ailleurs ainsi que des éditeurs. Rencontre et découverte.
Couleur Calé : Pour se lancer dans la création d’un festival de littérature il faut être une passionnée de littérature, d’où vous vient cette passion ?
Ide Rosine Deumaga: Vous ne me croirez pas si je vous dis que je ne suis pas une férue de lecture, d’ailleurs on m’a toujours reproché de ne pas connaître mes classiques. Mais j’ai été longtemps une amoureuse des mots, j’ai été initiée par ma mère avec qui je jouais beaucoup aux mots croisées, fléchés, je suis une lectrice normale, j’ai toujours un livre dans mon sac.
Étant dirigeante d’association de lutte contre l’illettrisme, je trouvais qu’il manquait un événement qui promeut les littératures africaines, je me suis lancée.
CC : Votre association existe depuis 2011, vous avez une longue expérience sur la littérature et le social. Comment est née l’idée de lancer un festival ? Y avait-il un besoin particulier et avez-vous trouvé une forme d’adhésion à cette idée auprès du public ?
IRD: Effectivement notre association existe depuis 12 ans déjà et depuis 2016 nous avons lancé le festival. Les auteurs ont été très réceptifs, le public suit petit à petit.
L’idée vient d’un autre événement qui nous avait été demandé d’organiser sur la littérature Camerounaise et nous nous sommes dit pourquoi pas l’étendre aux littératures Africaines.
CC : Pouvez-vous nous parler de la Maison de quartier Clos Toreau où se déroule le festival, et pourquoi avoir choisi ce lieu en particulier ?
IRD: La maison des confluences est la maison de quartier du quartier CLOS TOREAU dans le sud de Nantes, elle a été créée en 2012, c’est un lieu très dynamique de par la qualité des populations mais aussi son équipe dirigeante. Elle accueille plusieurs associations, c’est un lieu de rencontres, d’échanges et d’entraide.
Nous avons choisi le lieu pour sa disponibilité, son accessibilité, sa capacité, ses infrastructures mais également pour ses commodités : un grand hall pour avant accueillir le marché du livre, une salle polyvalente pour notre cérémonie d’ouverture, spectacle, et nos tables rondes conférences, des salles adjacentes pouvant accueillir nos ateliers. Petit plus, c’est desservi par un bus qui circule fréquemment.
CC : Les maisons d’éditions et les auteurs ont-ils été enthousiastes à l’idée de venir à Nantes ?
IRD : Nous avons des maisons d’éditions et auteur.e.s qui sont avec nous depuis le début et nous leur en sommes reconnaissants. C’est vrai que Nantes semble loin pour certains, mais si nous sommes passés de 4 auteurs à une trentaine et d’un éditeur à une dizaine, c’est que l’enthousiasme est là.
CC : Pouvez-vous nous citer quelques auteurs et autrices qui sont passés dans votre festival et qu’ont-ils / elles pensé de cette expérience ?
IRD : Depuis sa première édition, jusqu’à nos jours, nous avons reçus une centaine d’auteur.e.s, certains plus connus que d’autres : Kossi Efoui, Ndéye Fatou Kane, Abdelaziz Baraka Sakin, Nimrod, Marc Alexandre Oho Bambe, Diadé Dembelé, Jo Gustin, Mata Gabin, Nathalie Brigaud Ngoum, Marien Ngombe – Partice Nganang et Djiaili Amadou Amal (pour la 5ème édition en ligne). Notre festival pour eux est une bonne initiative, un événement qui manquait aux auteur.e.s africain.e.s de la diaspora et mêmes ceux qui viennent du continent.
CC : Trouve-ton uniquement de la littérature (romans, poésie, essai) ou toutes formes d’expressions littéraires (beaux-livres, livres pour enfants, livres culinaires etc.) ?
IRD : Toutes les formes de littératures sont représentées dans notre festival, il y’a 3 ans nous avons intégré La littérature jeunesse, les beaux livres avec des organisations comme la Route des chefferies, ou encore la cheffe Nathalie Brigaud Ngoum avec son Imprécis de cuisine, qui a déjà participé à 3 éditions de notre festival. Toutes les expressions littéraires sont représentées.
CC : Le festival s’organise sur 3 jours, le public peut rencontrer des auteurs, il y a des échanges, des conférences, pouvez-vous nous donner plus de détails sur le programme ?
IRD : Pendant les 4 premières éditions, notre festival s’est déroulé sur 1 journée, nous avons pris l’initiative de passer à 3 jours dès la 5ème édition. Le programme depuis le temps a évolué et continue au fil des éditions. Il existe :
- Un marché du livre : Plusieurs auteurs et éditeurs tiendront un stand où ils présenteront leur ouvrages ou public
- Des conférences thématiques à destination du public mais aussi des professionnels, nous allons par exemple échanger sur le féminisme et décolonisation des corps noirs dans la littérature, les littératures africaines au sein de l’industrie du livre
- Des ateliers à destination, des enfants (petite enfance et ado) comme l’initiation à la poésie, la transmission etc…
- Une librairie éphémère
- Un spectacle
- De la restauration afro-caribéenne
- Et d’autres animation à destination de tous les publics qui y seront représentées.
CC : Vous lancez un concours d’écriture dont le thème est : « Panser le monde par les mots », c’est d’actualité, au vu de ce qu’il se passe en Afrique et dans le monde, notamment en Ukraine, pouvez-vous nous en dire plus ?
IR D: Nous suivons tous les jours l’actualité qui met particulièrement en évidence les différents maux qui tourmentent notre monde. Instabilité, injustice, révolte, sans oublier l’actualité climatique ou encore économique.
Panser le monde par le mots c’est aussi la volonté de considérer la place de l’écriture des mots, dans cette volonté d’apaiser, soigner les plaies de ce monde. Soigner et apaiser ses plaies de diverses façons : nettoyer ses plaies, peut-être se débarrasser de ses impuretés (dénoncer, se révolter contre l’injustice, les rapports Nord/Sud inégaux, amener à la réflexion). Ensuite, peut-être l’apaiser avec une solution spéciale, à travers des textes qui invitent et impulsent le changement, qui interrogent les consciences et sont source d’espoir. C’est aussi permettre à ces plaies de cicatriser en rappelant aussi que le monde n’a pas que des maux. Que c’est par ses forces vives, qu’il sera meilleur.
CC : Il s’agit d’un festival gratuit si je ne m’abuse, il y a beaucoup de bénévoles, vous avez des ambitions ; quelles sont vos préoccupations pour le faire évoluer ?
IRD : Effectivement pendant 7 ans le festival a été gratuit, mais cette année nous avons décidé de faire participer les auteur.e.s, une manière pour nous de les impliquer.
Les ambitions si nous en avons seront relatives à l’association dans sa globalité, ce qui impactera forcément le festival.
Certains disent que notre défaut c’est d’être en province et non à Paris. Mais je trouve que c’est une mauvaise excuse. Le plus grand festival de cinéma est à Cannes, Le Hellfest est à Clisson près de Nantes, Avignon a le plus grand festival de théâtre, pourquoi le Nantes n’aurait-elle pas le plus grand festival des Littératures Africaines ?