Yilian Cañizares De HABANA A BAHIA
Lorsque La Havane rencontre Bahia
Née à la Havane et installée en Suisse depuis plus de 20 ans, Yilian Cañizares est une violoniste atypique. Pour ses 10 ans de carrière, elle nous invite à Salvador de Bahia, la plus africaine des villes Sud-américaines. Que la fête commence.
Couleur Café : Ton dernier album s’intitule « Havana – Bahia », est-ce parce que tu l’as enregistré entre ces deux villes ?
Yilian Cañizares : Oui. Ma ville d’origine est la Havane et Salvador de Bahia est le lieu où j’ai conçu cet album. Salvador de Bahia est un lieu culturel et historique très important pour le Brésil, très ancré dans l’Africanité, qui partage des points communs spirituels, historiques et culturels avec Cuba. Le titre Habana-Bahia annonce la couleur de l’album.
CC : Et quelle est donc la couleur de cet album ?
YC : C’est une couleur très solaire, comme le visuel de l’album. Il y a de la joie tout en étant bien ancré dans les racines, qui met l’accent sur l’Afrique que l’on ressent sur chaque plage de l’album.
CC : C’est un album où il y a pas mal d’invités. Qui sont-ils/elles et que font-ils/elles ?
YC : Au Brésil j’ai travaillé avec des musiciens locaux, issus de la tradition et de la nouvelle scène musicale de Salvador de Bahia. Il y a Japa System, qui est un maître de la percussion brésilienne, Dona Maria qui chante des chants traditionnels de Bahia, dans la scène plus actuelle il y a Tigana Santana, chanteur, poète et musicien incroyable. Puis il y a une rappeuse, j’ai invité tellement de musiciens, des guitaristes, c’était un vrai défilé de talents musicaux de Salvador de Bahia.
CC : De quoi est-il question dans cet album ?
YC : C’est un album très féministe. Le fait que je sois une femme y est probablement pour quelque chose, je suis très concernée par toutes ces questions. C’est un album qui parle d’espoir, d’égalité. Aller de l’avant et ne pas laisser les autres écrire notre histoire. Il faut se réinventer et écrire nos légendes. J’ai fait cet album avec le souhait que celles ou ceux qui l’écoutent ressentent de la joie, de la force. De nos jours, il est important de rester positif.
CC : Tu poses des problèmes universels, comme le féministe, les injustices.
YC : Ce sont des questions qui existent partout dans le monde avec quelques nuances. J’ai enregistré cet album pendant que Jair Bolsonaro, le précédent Président, était encore au pouvoir. Les élections venaient d’être annoncées et le pays venait de vivre quatre années infernales. Les femmes, et la communauté noire ont été les premières victimes de cette période. Les rappeuses avec lesquelles j’ai travaillé ont la légitimité d’en parler, par rapport aux expériences qu’elles ont vécu, elles connaissent des injustices au quotidien. J’avais justement envie de travailler avec des artistes qui sont issus d’une communauté défavorisée et qui n’ont que l’art comme moyen de résistance et d’expression.
CC : Autour de toi, il y a un noyau dur, dont les piliers sont le bassiste Childo et
YC : Childo Tomas et Inor Sotolongo sont venus avec moi au Brésil parce qu’ils représentent la colonne vertébrale de mon travail, je travaille avec eux depuis plusieurs années. Childo vient du Mozambique, pour moi il incarne l’Afrique. Inor a apporté toute la partie de percussions afro-cubaine à ce projet, qui se marie avec la tradition afro-brésilienne. J’avais envie de retrouver cet équilibre entre les différentes cultures africaines. C’est aussi ce que j’essaie de reproduire lors de mes concerts, j’ai 2 percussionnistes, l’un qui joue la tradition brésilienne et l’autre pour la tradition cubaine. Nous sommes dans un dialogue et nous recherchons des points communs.
CC : Tu as parlé de la rencontre entre le Brésil et Cuba dans cet album, comment tu as travaillé pour trouver cet équilibre ?
YC : C’était assez simple. À part la langue, il y a tellement de points communs qui pour moi coulent de source. L’autre particularité est aussi que je suis une femme et j’ai une vision féminine. Par exemple le titre Oxum est très présent dans ma vie et dans la création, cette une musique remplie de douceur, de ma personnalité.
CC : Quelque chose peut-être de beaucoup plus visible, ta musique est très ouverte sur tous les autres musiques, elle est très contemporaine.
YC : J’ai beaucoup de difficultés à mettre ma musique dans un style. Chez moi je parle musique, point. Tout le monde joue avec tout le monde. J’ai cette vision, je n’ai pas envie de dire que je joue tel ou tel style de musique, ce qui pourrait m’enlèver la possibilité d’ouvrir une fenêtre. J’ai juste envie de partager quelque chose de vrai et d’honnête, sans me mettre de limites. C’est ce que je recherche dans tous mes projets.
CC : Tu joues du violon, tu chantes, comment trouves-tu encore une fois l’équilibre entre ces deux instruments ?
YC : C’est une travail constant. Dans cet album il y a beaucoup de voix, j’écoute ce qui me vient naturellement en essayant de ne pas me laisser influencer. Je me suis exprimée en conservant le violon qui est mon instrument de prédilection, mon fidèle compagnon. Cette recherche d’équilibre va durer toute ma vie, l’idée est de me renouveler à chaque fois.
CC : l’album vient de sortir, tu commences à faire des concerts, comment est-il reçu par le public ?
YC : C’est tout récent, on démarre la tournée et les premiers retours sont magnifiques. On fait un travail en espérant que le public aimera, on a aucune garantie. Je suis heureuse de voir tous ces visages heureux après les concerts, je reçois beaucoup de messages sur les réseaux sociaux. Le public est connecté avec cette musique. Les gens ressentent cette joie que j’apporte.
CC : Tu as envie de jouer ta musique en Afrique, pourquoi ? Et comment veux-tu que le public africain reçoive ta musique ?
YC : J’aimerais jouer en Afrique parce que c’est là où commence la musique, c’est la source de ma musique. Le Brésil, Cuba, sont les enfants, ensuite on va vers la source, la mère. J’ai aussi envie de dire merci à l’Afrique, pour cet héritage. Elle est une grande source d’inspiration. J’ai envie de dire aux Africains et aux Africaines que nous sommes aussi des Africains. Nous nous ne sommes pas nés en Afrique mais nous sommes des Africains.
Propos recueillis par Samuel Nja Kwa
Nouvel album : Habana – Bahia, Planeta Y, 2023
En concert
8 novembre 2023 Café de la danse à Paris
17 & 18 novembre à Marseille
Pour en savoir plus : https://www.yiliancanizares.com